Page:Marat - Les Pamphlets, 1911, éd. Vellay.djvu/150

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Au demeurant, ces reproches annoncent dans ceux qui les font assez peu de connaissance du cœur humain. Ignorent-ils qu’il n’y a que la crainte du plus affreux scandale qui puisse contenir les méchants ? C’est la seule arme qui me restait contre les ennemis de la patrie : je l’ai employée longtemps avec succès, et je l’aurais employée plus longtemps encore, sans un événement malheureux, que la prudence ne pouvait prévenir, et dont les agents du pouvoir ont habilement profité.

J’ai publié cent inculpations également graves et méritées contre l’administration municipale, et toujours elle a fait la sourde oreille, toujours elle a gardé le silence. Une seule fois, durant cette guerre où j’avais seul tant de désavantages, j’ai dénoncé un délit révoltant commis dans l’assemblée des mandataires provisoires de la commune[1], délit bien constaté ; mais, sur la foi de l’opprimé, je m’étais mépris sur la personne du délinquant. Aussitôt l’accusé jette feu et flamme, crie à la calomnie, porte plainte, me traduit devant le Châtelet[2] ; et, pour une erreur innocente, dont il m’eût été également impossible et de me défier et de me garantir, j’ai été décrété de prise-de-corps comme un criminel. Le décret devait être mis à exécution le 6 octobre ; mais dans des conjonctures aussi orageuses, les gens du roi n’osant pas d’abord venir jusqu’à moi, se contentèrent d’assigner mon libraire et mon imprimeur. Comme je suis convaincu qu’il est non seulement licite, mais méritoire, d’éclairer la conduite des agents du pouvoir, de les dénoncer pour le moindre abus d’autorité, et de les poursuivre à outrance, je recommandai au premier de ne pas comparaître, et il suivit le conseil ; le dernier, ne consultant que ses préjugés, se rendit chez le commissaire, qui se contenta de lui adresser quelques questions

  1. Voyez le numéro 24 de L’Ami du Peuple. (Note de Marat)
  2. Cf., sur cette affaire, la lettre de Marat à M. Joly, dans la Correspondance de Marat, pp. 109-112.