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Page:Marat - Les Pamphlets, 1911, éd. Vellay.djvu/180

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LES PAMPHLETS DE MARAT

dédaigna la médiocrité, et l’homme couvert d’un bon habit ne voulut pas marcher à côté de l’homme couvert de haillons.

Pour tenir sous le joug la multitude des infortunés, on commença par les écarter du service militaire, dont ils avaient seuls supporté presque toutes les fatigues, en donnant à la milice un habit qui supposait quelque aisance dans ceux qui pouvaient y entrer ; et l’armée ne se trouva plus composée que des soldats dont le soin de leur fortune les rendait ennemis de toute révolution. Seuls ils eurent les armes à la main, et bientôt on les porta à un nombre assez considérable pour faire face au reste des citoyens. À peine eurent-ils endossé l’habit national, qu’ils s’admirèrent dans ce nouvel accoutrement ; le plus mince artisan affublé d’un uniforme regardait avec dédain son confrère en habit bourgeois. Bientôt un bonnet de grenadier et un pantalon de chasseur divisèrent en trois corps la milice parisienne elle-même et l’empêchèrent de se réunir pour le salut commun. Le serment particulier, imposé aux chasseurs et aux grenadiers, les lia à leur général ; et tel est leur aveugle dévouement à ses ordres, qu’ils seraient prêts à marcher contre la patrie. Croira-t-on que des citoyens qui se regardent comme les défenseurs de l’État, sont assez bornés, assez imprudents, assez inconsidérés pour se prêter à enchaîner leurs frères ? Se peut-il qu’ils aient oublié l’honneur au point de servir de cortège à des huissiers, à des satellites, à des espions ? Le bel emploi pour des gardes nationaux, que de marcher à la suite de vils records ! le beau triomphe que de livrer des citoyens qui se sont immolés pour eux !

Ô Parisiens, vous n’êtes que des enfants, vous fermez les yeux sur les malheurs qui vous attendent, l’irréflexion vous tient dans la sécurité, la vanité vous console de tous vos maux. Mais pourquoi vous accabler de reproches inutiles ? vous ne voulez être libres que pour vous vendre, vendez-vous ; vous êtes contents de vos fers, gardez-les ; vous repoussez la main qui veut vous tirer de l’abîme, restez-y.