Page:Marat - Les Pamphlets, 1911, éd. Vellay.djvu/234

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chaîner ; de punir ses agents infidèles, ses mandataires perfides, et d’exterminer ses implacables ennemis, traîtres et conspirateurs.

Le comble de la stupidité ? Ah ! disons plutôt le comble de la tyrannie ; car les despotes n’ont pas tous recours à de pareilles lois ; elles ne sont faites que par les tyrans : oui, la plus affreuse tyrannie est celle qui impose silence à la patrie, pour métamorphoser en crimes de simples opinions. Vérité toujours admise dans la théorie, mais trop souvent méconnue dans la pratique.

Quel plus affreux attentat que d’empêcher les hommes de se servir de leur raison dans les affaires publiques, celles du monde qui les intéressent le plus : quelle plus cruelle oppression que de leur donner notre volonté pour règle de la leur, et de les empêcher de réveiller des infortunés que nous allons faire périr ; quelle conduite plus révoltante que de réclamer pour nous un droit dont nous prétendons les priver ? Et puis n’est-ce pas une injustice criante que de ne pas distinguer l’homme de sa manière de voir ; de confondre ses intentions avec ses moyens, et de condamner l’écrivain pour ses erreurs ? La liberté de tout dire n’a d’ennemis que ceux qui veulent se réserver la liberté de tout faire. Oui, je ne crains pas de le dire : il n’est pas d’opinions dangereuses, point d’opinions incendiaires, tant qu’elles sont libres ; ces mots vagues et insignifiants, qui laissent à chacun la faculté d’en faire une application arbitraire, ont été inventés par les agents du despotisme, comme le plus sûr moyen de proscrire, à ce titre, tout ce qui s’opposerait à leurs desseins. Comment les entend-on répéter sous l’empire de la liberté ? Sans doute ce sont de simples opinions qui ont fait si souvent le malheur du monde : mais ces opinions n’auraient eu aucune influence redoutable, s’il avait été permis de les combattre. Quand il est permis de tout dire, la vérité parle toujours et son triomphe est assuré ; ici le remède résulte du mal même ; or, si la liberté enfante les opinions insensées, elle