Page:Marat - Les Pamphlets, 1911, éd. Vellay.djvu/254

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faux triomphe, vous criez, avec transport : « Nous sommes libres », et cent mille voix perfides répétaient à l’envi : « Vous êtes libres », pour vous plonger dans une fatale sécurité. Ils vous ont présenté la main de paix, en vous jurant fidélité ; ils ont lié les bras à vos défenseurs séduits par leurs faux airs de fraternité, et ils sont parvenus à vous enchaîner sur l’autel même de la liberté : vous dormez sur leur sein : encore quelques jours, et un affreux réveil succédera à ce repos funeste, et vous reconnaîtrez, en frémissant, que ce triomphe glorieux dont on vous berçait, n’était qu’un songe imposteur.

Ici, quelle scène affreuse s’ouvre devant moi ! Livrés à votre frivolité naturelle, bientôt vous détournerez les yeux des affaires du dedans sur les affaires du dehors ; vous abandonnerez vos plus chers intérêts pour de folles nouvelles ; des mensonges de gazetier vous feront oublier le soin de faire régner dans vos murs la justice, l’abondance et la paix. Pour hâter votre ruine, les scélérats qui vous gouvernent vous cherchent des ennemis en tous lieux, et s’efforcent de vous engager dans des guerres désastreuses. Hors d’état de tenir devant les forces ennemies, vos flottes seront écrasées et détruites ; des milliards seront dissipés en quelques années, et les biens du clergé, qui devaient servir à libérer l’État, à soulager le peuple, n’auront servi qu’à vous rendre vos fers, qu’à appesantir sur nos têtes le joug de la servitude et de la misère. Loin des yeux de leurs concitoyens, bientôt les soldats ne songeront plus à leurs droits, et finiront par oublier la patrie. Au milieu du tumulte des camps, ils ne connaîtront plus que la voix de leurs chefs ; mille séductions seront employées pour les asservir ; enfin, ramenés dans leur terre natale, ils seront prêts, au moindre mot, à fondre sur leurs concitoyens. Chère patrie, te voilà prête à être méconnue par tes enfants, en attendant qu’ils te déchirent et te remettent aux fers. Que dis-je ? un simple signe du despotisme suffira pour les transformer en bourreaux, qu’animeront encore