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Troisième Discours

Je me rappelle toujours avec amertume la joie peu discrète du Public, à la nomination de l’Archevêque de Toulouse au Ministère[1]. C’est un homme d’esprit, c’est un homme de génie, disait-on tour à tour avec enthousiasme ; et l’on partait de là pour concevoir les plus grandes espérances. Mais suffit-il d’avoir de l’esprit pour être à la tête du Gouvernement, si l’on manque des talents de l’homme d’État, si l’on n’est exercé au maniement des affaires ? Et où, je vous prie, ce Prélat sémillant avait-il puisé les lumières nécessaires à un premier Ministre ? Dans des cercles brillants, à la toilette des femmes galantes, dans des intrigues de Cour ?

D’ailleurs, quand il aurait eu tout le génie qui lui manquait, les talents ne suffisent pas, il faut des vertus ; et que pouvait-on attendre d’un courtisan consommé, d’un de ces hommes dont l’âme est continuellement en proie à l’ambition, à la cupidité, à l’avarice, et qui font métier de fausseté, d’astuce, de rapines et de trahisons ?

Funeste présage ! fallait-il que l’événement le justifiât si tôt ? Vous l’avez vu, oui, vous l’avez vu, ce déprédateur insatiable, débuter au Ministère par assouvir sa soif de l’or, se couvrir des dépouilles de la Nation, et lui arracher ses derniers lambeaux, lorsque le Peuple affamé lui demandait du pain. Par une fatalité sans exemple, l’illusion s’est perpétuée jusqu’au dernier moment ; et pour revenir sur son compte, il a fallu qu’avouant lui-même son incapacité, et tremblant à l’approche de l’orage, il prît la fuite, laissant

  1. Il s’agit de Loménie de Brienne, qui succéda à Calonne en avril 1787, et resta à la tête du ministère jusqu’au retour de Necker, en août 1788.