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d’une âme noble et délicate, réprouvé par la probité et proscrit par l’honneur, comme celui de la maltôte.

Appeler un agioteur à la tête des finances, c’était remettre à un chevalier d’industrie l’administration des richesses publiques, c’était perdre l’État[1]. Si j’avais besoin d’interpeller ici des témoignages non suspects, je prouverais que depuis la nomination de M. Necker à la place de directeur général des finances, jusqu’à l’époque de son rappel au ministère, après la retraite de l’infâme de Calonne, je n’ai pas varié une minute sur son compte, quoique je vécusse dans le commerce intime de quelques hommes de bien, ses sincères admirateurs. Pendant cinq ans, ils ont travaillé à faire passer dans mon âme l’enthousiasme qui remplissait la leur, et j’ai éternellement borné l’éloge du héros à ces mots : « Favori de la fortune, et non de la nature, il manque des vues de l’homme d’État : mais il a l’habitude du travail, la triture des affaires ; il aime la gloriole, et il est trop riche pour être fripon. Si nous ne pouvons pas nous flatter d’avoir quelque grand homme dans une place aussi importante au bonheur des peuples, contentons-nous de celui-là. »

Tant qu’a duré l’ancien régime, M. Necker m’occupait assez peu : je ne voyais en lui que le satrape d’un despote ; et le seul bien à mes yeux qu’il pût faire au peuple, c’était de le fouler un peu moins.

Un seul moment dans la vie, l’opinion que j’avais de lui a pris une teinte brillante : c’est celui où il proposait la convocation des États-Généraux. Seul contre la cabale des Princes et des courtisans, seul contre la faction des parlements, de la noblesse, du clergé et de la finance ; je le

  1. Ses admirateurs font valoir comme un trait d’habileté, qu’il ait été cinq années en place, et en temps de guerre, sans mettre pour un sol d’impôt. C’est jouer sur les termes ; car les intérêts de ses nombreux emprunts sont de véritables impôts levés sur les peuples. Or, il en a grevé la nation pour plus de 60 millions annuellement. (Note de Marat)