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Page:Marat - Les Pamphlets, 1911, éd. Vellay.djvu/98

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voyais avec attendrissement épouser les intérêts du peuple ; j’admirai ces nobles efforts. Jamais mauvaise honte ne m’a empêché de revenir sur mes pas : bientôt je me reprocherai[1] le jugement peu favorable que j’en avais porté ; je me hâtai de lui rendre justice, je le comblai d’éloges dans l’Offrande de la Patrie[2] ; et mon respect pour la vertu le couvrit de la robe des hommes d’État.

L’illusion ne fut pas de longue durée ; la lettre de convocation, et le règlement annexé, détruisirent le prestige[3]. J’avais entrevu le régénérateur de l’empire, je ne vis plus que le ressasseur de l’administration ; et toujours de bonne foi avec moi-même, je revins à mon premier jugement, et ne craignis plus d’attaquer son plan de réforme[4].

Dès ce moment, jusqu’à celui de l’ouverture des États, l’estime est allée en s’affaiblissant. Partout je retrouverai l’homme délié, mais sans caractère, l’homme adroit, qui cherchait à concilier les intérêts des ennemis publics avec ceux du peuple ; et qui, pour se maintenir en place, nageait sans cesse entre deux eaux.

Les apprêts de l’affreuse conjuration qui semblait nous avoir rendu la liberté, bouleversèrent toutes mes idées sur le compte de M. Necker ; ils firent succéder l’horreur au mépris. Le ministre replâtreur disparut à mes yeux ; et dans l’homme exalté que la nation adorait comme son ange tutélaire, je ne vis plus qu’un ennemi de la patrie.

Forcé de renfermer dans mon sein des sentiments qui m’eussent exposé à l’aveugle fureur d’un peuple irréfléchi, je me tus tant que le danger nous menaçait ; je me tus après qu’il fut passé, je déplorai en silence la prévention

  1. Il faut évidemment lire : je me reprochai.
  2. Le premier exemplaire de cet opuscule fut adressé à M. Necker. (Note de Marat)
  3. On sait les égards déplacés qu’il montra pour la noblesse dans ce règlement. (Note de Marat)
  4. Voyez le Troisième Discours du Supplément de l’Offrande à la Patrie. (Note de Marat)