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le charme de l’histoire

qui avait descellé la porte pour aller tous les soirs en ville voir sa belle. Mais il avait grand soin de rentrer avant le jour, ne se souciant pas plus que les aristocrates de se trouver aux prises avec les difficultés et les périls de la liberté. Il était cependant en danger comme eux, peut-être même plus qu’eux, car il fut avant eux emmené à Paris, et lui aussi ne dut son salut qu’au 9 thermidor. Une nuit, les prisonniers avaient été réveillés par un bruit inaccoutumé ; le lendemain ils virent avec étonnement, paraître au milieu d’eux, trois sans-culottes, qui depuis longtemps terrorisaient la ville. Ils croyaient à quelque inspection sévère, quand le concierge accourut à Dufort en lui disant : « Les voilà tous dedans à leur tour ! » Deux ou trois jours après, les nouveaux venus furent dirigés sur Paris avec Gidouin. La ville se crut délivrée ; les sentiments qu’ils inspiraient et que la peur avait jusque là comprimés éclatèrent dans les manifestations de la foule. Voici comment Dufort raconte la scène ; ses amis et lui la suivirent, du haut du grenier de la prison, leur observatoire accoutumé : « Dès cinq heures du matin, la rue des Carmélites était remplie d’une populace considérable ; on savait que les enragés partaient pour le Tribunal… La foule les invectivait, et l’on applaudit quand on vit mettre dans la cave (caisse de la voiture) la boîte qui contenait les menottes de fer, pour le