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dufort de cheverny

cas où ils feraient résistance. Ils montèrent huit, un gendarme se trouvant vis-à-vis de chaque prisonnier. Le peuple les accablait de malédictions et leur souhaitait la mort, leur reprochant leurs cruautés et leurs forfaits… Les mariniers les apostrophaient, et l’un d’eux paria que dans huit jours il rapporterait à Blois la tête d’Hézine » (II. 233).

Dufort ne réfléchit pas que peut-être la même populace aurait poussé les mêmes imprécations si c’eût été lui et ses amis qui eussent été conduits au Tribunal révolutionnaire !

L’un de ces quatre enragés était un ancien cordonnier, nommé Velu, qui avait fait aux clubs de Blois et de Cour les motions les plus sanguinaires. Quelques mois avant l’arrestation de Dufort il avait été délégué à Cheverny pour s’assurer que tous les titres féodaux avaient été détruits. Il avait, dans cette circonstance, cherché à déployer les grâces dont il était capable, et montré la gaucherie d’un sans-culotte aussi intimidé que fier de faire sentir son autorité au seigneur, de donner des ordres dans son château et de s’asseoir en égal à sa table. Pendant les Saturnales romaines, l’esclave devait avoir plus d’aisance, parce qu’il savait que c’était pour rire. Velu prenait son rôle au sérieux. Il s’efforçait d’être aimable, ne disait et ne faisait de sottises que sans le vouloir : il tutoyait la citoyenne Dufort et