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les contes de perrault

du récit est partout resté le même ; c’est toujours la glorification de la force ou de la ruse, de la violence ou du mensonge.

Il est peu d’études qui ne soient tristes quand elles nous font entrevoir le fond du cœur de l’homme. Celle des contes populaires est douloureuse. Que des traits semblables à ceux que nous y trouvons presque toujours aient été imaginés dans l’enfance de la civilisation, nous ne pouvons nous en étonner. L’homme était encore à l’âge du fétichisme. Il n’avait pas encore élevé sa pensée jusqu’à la divinité. Il voyait autour de lui les forces de la nature ; il se les figurait bienveillantes ou méchantes ; il essayait de


    toi) quarante quarantaines (les Hébreux auraient dit soixante-dix fois sept fois) de loups gris, d’ours noirs, de martres et de zibelines qu’il décide à le suivre en leur persuadant que le Tsar les conviera à un festin où ils mangeront du gras. Quand, grâce au renard, le Tsar a vaincu, tué et dépouillé un autre Tsar, son voisin, par conséquent son ennemi ; quand Cosme a épousé la fille du vainqueur, un conteur Français terminerait sans doute son récit en disant que Cosme et sa Tsarewna vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants ; un conteur Anglais eut peut-être écrit : ils vécurent heureux et burent à pleines tasses (fin du conte anglais qui est l’analogue de notre Cendrillon, Brueyre, toc. cit., p. 41) ; le conteur Russe dit : ils jouissent de la vie et mâchent du pain. Manger du gras ! mâcher du pain ! Quelle devait être la misère d’un peuple qui avait pour idéal un tel bonheur !
    Remarquons en passant que chez les Russes le nom du renard est féminin ; il l’était chez les Grecs et les Latins qui avaient fait de cet animal le type de la ruse et de la finesse ; il l’est encore en Espagne et en Italie. Les Français ont conservé au renard sa réputation féminine, tout en ayant la maladresse de lui donner un nom masculin.