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m’ont changé en un pauvre individu. — Et, chancelant, il ramassa enfin la lampe et réussit à s’élancer d’un côté opposé à celui où il entendait marcher pour revenir dans les endroits déjà traversés. Seul, à cette heure indue, courant par les grandes salles désertes, il avait l’air d’un homme qu’une pensée coupable pousse en avant sans qu’il se rende compte du but où il va. Désorienté dans la course qu’il accomplissait, il allait toujours, ressentant à la poitrine l’impression d’une barre douloureuse.

Le masque d’une tête du Titien, sortie à demi de son cadre, l’arrêta, et, sous le coup de l’agitation nerveuse qui atteignait son summum chez Duvicquet, il lui sembla que le silence syllabifiait des mots à son oreille. Il atteignit enfin la salle où le Radeau de la Méduse découpe ses silhouettes agonisantes. Devant lui s’étalaient ces cadavres, ces soldats de la Retraite de Russie, et le Cuirassier de Géricault, tenant le mors de son cheval qui se cabrait, paraissait prêt à faire un appel au sol, du poids de son talon guerrier. — Les pas du gardien qui cherchait Duvicquet se rapprochèrent ; le peintre ne voulut pas être surpris ; il gagna la porte. Alors, fléchissant à moitié le genou, envahi par l’effet d’un involontaire respect :

— Salut ! cria-t-il dans l’exaltation de son âme. Salut, ô mes frères, ô mes rayonnants amis, ô mes dieux, à présent exilés ! Salut pour la dernière fois !… Homme vénal je ne franchirai plus votre seuil ; homme d’argent je ne souillerai plus votre temple !