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sabine

descendre du restaurant Champeaux, un à un, gavés jusqu’à la gorge ; il en vit qui s’accrochaient des bouquets de violette à la boutonnière. Une voiture des magasins du Louvre passa avec des allures de break, carrant sa large caisse entre ses essieux comme le char de la Fortune ; le masque blanc, mou, apaisé de quelques prêtres stationnant au bureau des omnibus trouait la mêlée humaine d’un air d’indifférence suprême. Les mains d’Henri eurent un tremblement inconscient : il vivait depuis quelques semaines secoué des désirs les plus âpres, et les aiguilles des fines cruautés du présent lui lardaient le cœur. Par un arrêt brusque de sa pensée, l’élan fiévreux qui l’avait soutenu jusque-là, qui l’avait transporté depuis le boulevard Haussmann jusqu’à la dernière marche de la Bourse s’arrêta. En une minute son rêve tumultueux fut balayé ; un mouvement de réaction le plongea dans la stupeur : il comprit que l’heure de son exécution s’avançait rapidement, et il ferma les yeux.

— Pauvre petite Sabine, pensa-t-il, demi-suffoqué ; quand elle se pendra à mon cou, quand la succion de ses lèvres à ma bouche y aura attiré tout le sang de mes veines… comment lui annoncer que c’est fini, absolument fini ?

Pris d’une rage froide, il entra en exécutant une poussée brutale. On le regarda avec étonnement. Il se jeta contre la barre de la corbeille et se donna un renfoncement à la poitrine qui manqua le faire évanouir. On hurlait les Nord à 85 ; l’avant-veille, il les achetait à 105. Les Suez descendaient encore