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qu’il eût risqué les fonds d’autrui dans un moment où l’éveil déjà sonné en plein marché devait lui donner à réfléchir ? Il y aurait là pour les petits capitalistes une escroquerie manifeste. C’était le dernier coup : ses vêtements le brûlaient ; il entendit sa poitrine râler ; une vingtaine de clients le frôlèrent comme un suspect ; l’un d’eux lui demanda, au nom des autres, s’ils pourraient toucher le lendemain les sommes versées ; et, comme Henri le regardait d’un air hébété, il le salua en souriant, prenant son silence pour un acquiescement. Ce fut alors une procession autour de lui, et l’un de ceux qui s’approchaient sous le prétexte de lui réclamer un avis ajoutait en affectant l’insouciance :

— Ah ! à propos, cher monsieur, j’allais oublier… demain je pense encaisser chez vous ma dernière mise de fonds… Une affaire se présente, un immeuble à acheter… je voudrais porter un acompte… vous comprenez… n’est-ce pas ?… Hein ! quelle débâcle ?… Ça ne s’est jamais vu…

Les autres se gênaient moins et se contentaient de l’avertir qu’il eût à leur restituer les capitaux en sa possession. Comme Henri continuait à être incapable de prononcer une parole, on le quittait sans commentaire, imaginant simplement que son silence cachait un désappointement secret… où la pensée de sa ruine n’entrait pas encore.

Il était quatre heures lorsqu’il posa le pied sur la dernière marche de la Bourse. Une sorte de bien-être douloureux s’empara de lui ; du moins l’incer-