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rentrait pas précisément dans ses vues.”

Ce qui caractérise en effet Marcel Schwob adolescent, c’est la liberté de son esprit, sa solitude. Une lettre qu’il adresse à son père, le 13 juillet 1884 est bien caractéristique : “Mon cher papa, tu as bien tort de supposer que j’ai la moindre intention de me poser en Galilée ou en Savonarole. Malheureusement, ce sont les gens qui nous examinent qui nous considèrent ainsi. Il ne s’agit pas ici d’affirmer telles ou telles opinions, — mais de la tournure générale de l’esprit. J’affirmerai tout ce qu’ils voudront — je suis beaucoup trop jeune pour avoir des convictions arrêtées sur quoi que ce soit — mais je ne pourrai pas les empêcher de voir que M. Burdeau nous a fait un cours de philosophie très matérialiste. Si encore je passais avec Caro, cela me serait indifférent : c’est un homme intelligent et tolérant. Mais j’ai le malheur d’avoir pour examinateur Waddington, le cousin de l’ambassadeur, qui est bien la brute la plus sorbonnique que je connaisse. Il ne sort pas de la logique, de Malebranche et de Fénelon…” En fait, Marcel Schwob devait être recalé au bachot de philosophie par Waddington : l’année qui suivit, il sera reçu avec félicitations.

Marcel Schwob, si doué, dédaigne absolument les programmes et les maîtres qui ne conviennent pas à son intelligence. Sa curiosité le porte ailleurs. Il accompagne M. Jacob à la Bibliothèque Nationale et il fréquente sa conférence de l’Ecole des Hautes-Etudes. Il collationne les cinq dialogues de Lucien contenus dans le manuscrit grec 690 de la Bibliothèque nationale. Il a commencé l’étude du sanscrit avec son camarade Georges Guieysse et il suit les conférences de Bergaigne.

Tout cela le distingue vraiment des bacheliers qui l’entourent. Il commence un Prométhée en vers qu’il va situer dans le décor de l’Inde, et il tire du gavage philosophique de Burdeau et de Schopenhauer un très curieux Faust, en vers et en prose, qu’il conçoit comme un mystère du moyen âge.

À la fin de l’année 1885, Marcel Schwob, qui avait dix-huit ans, devança l’appel et fit son volontariat à Vannes, au 35e régiment d’artillerie. Cette époque marqua chez lui un violent mouvement d’émancipation. Tout d’abord l’accablent le sentiment de l’isolement et, il faut le dire, la vie abrutissante et remplie de corvées que l’on imposait aux étudiants volontaires dans les casernes. Fatigues, nuits de veille aux écuries, gardes sous un lieutenant instructeur horriblement dur et brutal, telles furent ses impressions premières. Marcel