Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/109

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aussi imposantes, après de si brillants débuts, pour pousser plus loin leurs avantages, au moment où la puissance romaine, en proie aux déchirements d’une guerre civile interminable, s’épuisait d’efforts et de sang.

(8) C’est ainsi qu’au milieu des banquets, où les Perses, à l’imitation des Grecs d’autrefois, tiennent conseil sur la politique et la guerre, le transfuge, tout en sachant rester maître de soi, excitait l’ivresse du monarque, exaltait sa confiance en la fortune, et le poussait à se mettre en campagne dès que l’été serait venu, promettant, de son côté, son zèle et son assistance au besoin.

Chapitre VI

(1) Dans le même temps Sabinien, tout gonflé de sa soudaine importance, venait trouver en Cilicie l’homme qu’il devait remplacer, et lui remettait une lettre du prince, qui l’invitait à se rendre sans délai à la cour, où une position plus élevée lui était offerte. Or les choses en Orient en étaient venues à ce point de crise, qu’au lieu d’ôter Ursicin de son gouvernement, il eût fallu l’y rappeler en toute hâte, dût-on même l’aller chercher jusqu’à Thulé : tant son habileté consommée et sa profonde intelligence de la tactique particulière des Perses le rendaient l’homme indispensable en ce moment.

(2) Cette nouvelle consterna les provinces. Partout les ordres de l’État s’assemblèrent, et le peuple s’ameuta : on délibéra d’un côté, on vociféra de l’autre, tous s’accordant à retenir bon gré malgré leur commun défenseur. On se souvenait que, resté seul pour protéger le pays, il avait su, avec une poignée de soldats sans nerf, sans ressort, et qui n’avaient jamais vu la guerre, se maintenir dix années durant, et ne se laisser entamer nulle part. On savait encore, pour surcroît d’alarmes, qu’en perdant Ursiein on allait voir lui succéder le plus incapable des hommes.

(3) C’est une croyance reçue, et je m’y range pleinement, que les nouvelles traversent les airs. Sans doute les Perses furent avertis par cette voie ; car ils délibéraient déjà sur ce qui venait de se passer chez nous. Après bien des débats, ils arrêtèrent dans un dernier conseil le plan proposé par Antonin, et fondé tant sur l’absence d’Ursicin que sur la nullité de son successeur, de forcer la barrière de l’Euphrate, et d’aller droit devant soi, sans s’exposer à perdre du monde devant les places fortes. Prévenant ainsi par sa célérité le bruit de sa marche, leur armée n’aurait qu’à occuper sans coup férir des provinces qui n’avaient pas vu d’ennemi depuis le temps de Gallien, et qui s’étaient enrichies par une longue paix. Antonin offrait de plus de servir de guide, et l’on n’en pouvait trouver un meilleur.

(4) Cette résolution emporta tous les suffrages ; on ne s’occupa plus que de ramasser des soldats, des vivres, des armes, et tout le matériel nécessaire. Les préparatifs durèrent le reste de l’hiver.

(5) Quant à nous, une fois sortis des obstacles dont je viens de parler, et qui nous retinrent quelque temps de l’autre côté du Taurus, nous nous empressâmes d’obéir à l’empereur, et nous voyagions en toute hâte vers l’Italie. Arrivés au bord de l’Hèbre, fleuve qui prend sa source dans les monts Odryses, nous trouvâmes une lettre de l’empereur qui nous enjoignait de reprendre sur-le-champ la route de Mésopotamie ; et cela sans aucune suite, puisque notre mission était inactive, et qu’un autre avait le pouvoir.

(6) C’était une manœuvre imaginée par les grands faiseurs du gouvernement, et dont l’intention était, au cas où