Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/110

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les Perses viendraient à échouer dans leur entreprise, de transporter au général nouveau tout l’honneur du succès ; mais de se ménager, dans le cas contraire, un texte d’accusation contre le traître Ursicin.

(7) Nous voilà donc de retour, après toutes ces allées et venues sans objet, et face à face avec Sabinien, qui nous fit le plus dédaigneux accueil. C’était un personnage de petite taille, aussi dépourvu de cœur que d’esprit ; un homme à perdre contenance au bruit joyeux d’un festin. Qu’on se le figure sur un champ de bataille !

(8) Cependant les rapports de nos espions s’accordaient avec les déclarations des transfuges sur l’activité que les Perses apportaient dans leurs préparatifs. Nous laissâmes le petit homme bâiller tout à son aise, et courûmes mettre Nisibe en état de défense, dans la crainte que l’ennemi, tout en faisant mine de n’en pas vouloir à cette place, ne la surprît au dépourvu.

(9) Pendant que nous pressions les travaux dans l’intérieur des murs, des colonnes de fumée et des lueurs extraordinaires apparaissaient au-delà du Tigre, dans la direction de Sisara et du Camp des Maures, et, gagnant de proche en proche jusqu’à une distance assez voisine de l’enceinte, témoignaient du passage du fleuve par les corps avancés de l’ennemi et du commencement des dévastations.

(10) Nous sortîmes au plus vite, tâchant de les prévenir et de leur couper le chemin. À deux milles environ des murs, nous trouvâmes sur la chaussée un bel enfant qui pleurait. Il paraissait âgé de huit ans, et portait un collier. Il nous dit qu’il était de bonne famille, et qu’à l’approche de l’ennemi sa mère l’avait abandonné, au milieu du trouble et de l’embarras de sa fuite. Le général, touché de pitié, m’ordonna de prendre cet enfant devant moi sur mon cheval, et de le ramener à la ville. Mais déjà des coureurs en pillaient les alentours.

(11) Je craignis d’y être enfermé ; et, déposant ma charge sur le seuil d’une poterne entr’ouverte, je regagnai nos escadrons à toute bride et à perte d’haleine. Peu s’en fallut que je ne fusse pris.

(12) Le valet d’un tribun nommé Abdigilde tomba aux mains d’un parti au moment où je passais comme un trait. Le maître échappa. On demanda au prisonnier qui était le chef qui venait de sortir de la ville. Il répondit que c’était Ursicin, et qu’il s’était dirigé vers le mont Izala. Sur quoi ils tuèrent cet homme, et se mirent tous à nous poursuivre sans relâche.

(13) Grâce à la vitesse de mon cheval, je conservai sur eux l’avance ; et près d’Amudis, petit fort en mauvais état, je vis les nôtres qui se reposaient dans une sécurité complète, laissant paître leurs chevaux çà et là. J’élevai de loin les bras aussi haut que je pus, agitant un pan roulé de ma tunique, en signe que l’ennemi était là. On fit retraite aussitôt, moi compris, malgré l’épuisement de ma monture.

(14) La lune, à notre grand détriment, était dans son plein ; et nous traversions une plaine unie et découverte, où l’on ne voyait qu’une herbe très courte, et aucun arbre ni buisson pour refuge, au cas où nous serions serrés de trop près.

(15) On imagina, dans cette conjoncture, d’attacher solidement une lampe allumée sur le dos d’un cheval, et de l’abandonner à lui-même après l’avoir poussé sur la gauche, tandis que nous tournions à droite vers les montagnes ; le tout afin d’attirer les Perses vers cette lumière qu’ils voyaient s’avancer lentement, et qu’ils devaient juger destinées à éclairer les pas du général. Sans ce stratagème, nous étions infailliblement enveloppés et faits prisonniers.