Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/111

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(16) Échappés à ce danger, nous arrivons dans un canton boisé, rempli de vignes et d’arbres à fruit, que la froideur de ses eaux a fait nommer Meiacarire. Tous les habitants avaient fui : il ne s’y trouva qu’un soldat caché dans un réduit, et que l’on conduisit au général. L’effroi que laissait voir cet homme, et la contradiction de ses réponses, nous le rendirent suspect. On le pressa de menaces, et il finit par tout avouer. Nous apprîmes alors qu’il était natif de Paris dans les Gaules, et qu’il avait servi dans notre cavalerie ; mais que la crainte d’un châtiment mérité l’avait fait déserter chez les Perses ; qu’il s’y était marié à une honnête femme, dont il avait des enfants ; qu’employé comme espion par les Perses, il leur avait souvent donné d’utiles indications ; et qu’au moment même de sa capture il retournait près des généraux Tamsapor et Nohodarès, qui commandaient l’avant-garde, pour leur faire part de ce qu’il avait recueilli. On le mit à mort, après avoir tiré de lui divers renseignements sur les ennemis.

(17) Le temps nous pressait, et l’alarme devenait de plus en plus vive. Nous nous rendîmes en toute hâte à Amida, ville que son désastre a rendue depuis si célèbre. Là, au retour de nos éclaireurs, on nous remet un parchemin mystérieusement caché dans une gaine, et sur lequel des caractères d’écriture étaient tracés. Ce message nous venait de Procope, qui, ainsi que je l’ai dit plus haut, avait fait partie de la seconde ambassade en Perse avec le comte Lucillien. Voici le contenu de cette pièce, rédigée à dessein en termes obscurs, dans la crainte qu’elle ne vint à être interceptée :

(18) "Le vieux roi a rejeté les ambassadeurs grecs, dont la vie ne tient même qu’à un fil. L’Hellespont ne lui suffit plus : on le verra bientôt joindre par des ponts les deux rives du Granique et du Rhyndace, et jeter sur l’Asie, pour l’envahir, des populations entières. Il n’est déjà que trop violent et emporté de sa nature ; et le successeur de l’empereur Hadrien d’autrefois est là qui l’anime encore, et l’irrite sans cesse. C’en est fait de la Grèce si elle n’y prend garde."

(19) Le sens de ces mots était que le roi de Perse allait franchir l’Anzabe et le Tigre, et que, poussé par Antonin, il visait à la domination de tout l’Orient. Quand on l’eut pénétré non sans peine au travers de ces voiles, on prit la précaution prudente que voici :

(20) Il y avait alors au gouvernement de la Corduène, pays de la dépendance des Perses, un satrape, nommé Jovinien, qui entretenait avec nous une secrète intelligence. Désigné autrefois comme otage, il avait passé sa jeunesse en Syrie, y avait pris le goût des études libérales, et désirait ardemment revenir parmi nous se livrer à sa passion.

(21) Je fus dépêché près de lui avec un centurion choisi comme homme sûr, afin d’obtenir des renseignements précis touchant l’invasion. Nous ne parvînmes jusqu’à lui que par des chemins à peine frayés à travers des monts escarpés et des précipices. Il me reconnut à l’instant ; et je ne lui eus pas plutôt confié sans témoins l’objet de mon voyage, qu’il me donna un guide discret, bien au fait des localités. Celui-ci me conduisit à quelque distance de là, sur un rocher assez haut