Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/113

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(6) Tandis qu’on livrait aux flammes toute la végétation des champs, des détachements de protecteurs, commandés par des tribuns, couvraient la rive citérieure de l’Euphrate de redoutes et de palissades, qu’ils garnissaient en outre de machines de guerre, partout où la nature du sol permettait d’en asseoir à l’abri de la violence des eaux.

(7) Au milieu de cette activité, stimulée par le sentiment du péril commun à la veille d’une guerre d’extermination, le chef si heureusement choisi pour y faire face, Sabinien, passait tranquillement son temps au milieu des tombeaux. Sans doute il se figurait, en paix avec les morts, n’avoir plus rien à craindre des vivants ; et, par une bizarre et sinistre fantaisie, il se divertissait à troubler le silence profond de ces lieux en y faisant jouer devant lui les airs guerriers de la pyrrhique, pour se dédommager de la privation des spectacles. L’idée de funeste présage inhérente à de pareils actes s’attache même à la relation qu’on en fait ; mais elle peut empêcher du moins que l’exemple n’en soit contagieux.

(8) Cependant l’armée des Perses laissait de côté Nisibe, sans daigner s’y arrêter. Mais le feu étendant toujours ses ravages, pour ne pas s’exposer à manquer de subsistances, elle dut côtoyer le pied des monts, à la recherche des vallées où il pouvait rester quelque verdure ;

(9) et elle arriva bientôt à la ferme de Bebase. De là jusqu’à Constantine, dans un trajet de cent milles environ, règne une sécheresse absolue, et l’on n’y trouve d’eau que le peu qu’en fournissent les puits. Les chefs hésitèrent longtemps ; mais, dans leur confiance en l’énergie physique de leurs soldats, ils allaient passer outre, quand ils furent positivement informés qu’une subite fonte de neiges avait fait déborder l’Euphrate, et le rendait impraticable à gué.

(10) Ce contre-temps faisait évanouir leur espoir : il fallait attendre une occasion, et s’en remettre au hasard de la faire naître. Dans cette circonstance critique on tint un conseil d’urgence, et Antonin fut invité à ouvrir un avis. Il proposa d’appuyer sur la droite, et de gagner par un long circuit les forteresses de Barzalo et de Claudias, s’offrant à servir lui-même de guide. On aurait à traverser une contrée fertile en toute espèce de productions, et que la marche jusqu’alors en droite ligne des armées avait laissée intacte. Là le fleuve, près de sa source et n’ayant pas encore reçu d’affluents, ne présentait qu’un lit resserré et facilement guéable.

(11) La proposition est accueillie avec applaudissement ; on l’invite à montrer la route qu’il dit bien connaître, et toute l’armée, changeant de direction, s’achemine sur ses pas.

Chapitre VIII

(1) Aussitôt instruits de ce mouvement par nos éclaireurs, nous fîmes nos dispositions à l’effet de nous rendre en diligence à Samosate, y passer le fleuve, et, après avoir rompu les ponts de Zeugma et de Capersane, tâcher, Dieu aidant, de repousser l’ennemi.

(2) Mais nos mesures furent déconcertées par un incident aussi funeste qu’ignominieux, et qu’il faudrait ensevelir dans un éternel silence. Nous avions de ce côté un poste avancé de deux escadrons composant sept cent chevaux, qu’on avait envoyés d’Illyrie comme renfort. Cette troupe énervée et sans courage, redoutant une surprise nocturne, avait abandonné la garde de la chaussée vers la chute du jour, c’est-à-dire précisément à l’heure où il fallait redoubler de surveillance, et occuper jusqu’au moindre