Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/120

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haut des murs, et, suivant toute apparence, aucun coup ne fut perdu au milieu de ces masses profondes et compactes. Quant à nous, circonvenus, pressés par un monde d’ennemis, nous songions moins, je le répète, à conserver nos jours qu’à mourir en gens de cœur. On se battit ainsi jusqu’au soir, sans que la victoire inclinât d’aucun côté, et avec plus d’acharnement que d’ordre et de prudence ; car les cris confondus de ceux qui tuaient et étaient tués communiquaient à tous cette exaltation fébrile où l’on ne songe plus à se garantir.

(14) Enfin la nuit vint apporter au carnage une trêve, que prolongea l’épuisement des deux partis. Mais cet intervalle, qu’il eût fallu donner au repos, fut rempli par un travail continuel, dont l’excès, joint à l’insomnie, consuma ce qui nous restait de forces. Le courage aussi faiblissait à la vue des plaies saignantes et du pâle visage des mourants, à qui, faute d’espace, la sépulture même devait être refusée. En effet, outre la présence de sept légions, appelées avec quelques autres troupes à la défense de la ville, un mélange confus de tout âge et de tout sexe y avait reflué de l’extérieur. Vingt mille hommes au moins se pressaient dans son étroite enceinte.

(15) Chacun soignait donc ses propres blessures comme il pouvait, et eu égard aux ressources de pansement existantes. Plus d’un agonisant rendait le dernier soupir en perdant tout son sang, à la place même où le coup l’avait renversé. Tel, vivant encore, bien que percé d’outre en outre, voyait les gens de l’art lui refuser leurs soins, pour lui épargner d’inutiles souffrances. Tel, subissant l’extraction des flèches dont il était atteint, endurait mille morts pour une guérison douteuse.

Chapitre III

(1) Pendant qu’Amida soutenait cette lutte terrible, Ursicin se désespérait de sa position subalterne. Sabinien, dont l’autorité était alors supérieure à la sienne, ne bougeait plus du milieu des tombeaux. Ursicin ne cessait de l’exhorter à rassembler tous les vélites, et à intervenir par une marche rapide, en suivant le pied des monts. On pouvait espérer, avec une force aussi mobile, d’enlever les gardes avancées de l’ennemi, et de percer sur quelque point, par une attaque nocturne, les lignes qu’il formait autour des murs ; sinon, de multiplier les surprises, pour faire au moins diversion aux travaux du siège et aux efforts des assiégeants.

(2) Sabinien traita ce projet de désobéissance, et produisit une lettre de l’empereur, qui enjoignait formellement de ne faire que ce qui était possible, sans déplacement des troupes. Mais il se garda bien de laisser connaître à Ursicin la recommandation expresse qu’il avait reçue de la cour, de s’arranger, dût l’État en souffrir, pour fermer à son ardent prédécesseur toute occasion d’acquérir de la gloire.

(3) On allait jusqu’à sacrifier des provinces pour ôter à ce grand homme de guerre l’honneur, même partagé, d’une action d’éclat. Paralysé par ces machinations, Ursicin, que notre situation n’en préoccupait pas moins, en était réduit à communiquer avec nous par exprès, ce qui était souvent bien difficile, attendu la rigueur du blocus où l’ennemi tenait la place, et à former plan sur plan, sans pouvoir en mettre un seul à exécution ; semblable à un lion terrible qui, désarmé de griffes et de dents, voit ses petits dans