Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/119

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se rangèrent du côté du sud, et les Albaniens vers le nord. À l’ouest se montraient en bataille les Ségestans, de tous ces guerriers les plus redoutables. Au milieu d’eux, avec lenteur, s’avançait le train des éléphants ; et, ainsi que je l’ai déjà dit, rien n’est plus fait pour inspirer la terreur que ces monstres à la peau rugueuse, citadelles mouvantes, et chargées d’hommes armés.

(4) À la vue de cette levée en masse de peuples conjurés pour la destruction du monde romain, et qui arrêtait un moment sa marche pour nous écraser en passant, tout espoir de salut s’éteignit en nous. Chacun ne songea plus qu’à trouver une mort glorieuse, et, autant que possible, à en avancer le moment.

(5) Depuis le lever jusqu’au coucher du soleil, les lignes ennemies restèrent immobiles, comme fixées en terre, et gardant un silence absolu ; on n’entendit pas même un cheval hennir. Le retour s’opéra dans le même ordre qu’on était venu se mettre en position, afin de prendre un peu de sommeil et de nourriture. Puis dès avant l’aurore, au bruit des trompettes, qui semblaient sonner l’heure dernière de la ville, le terrible investissement recommença.

(6) Au signal connu d’un javelot sanglant lancé en l’air par Grumbatès, qui remplit en cette occurrence le rôle de fécial, suivant la coutume de son pays et du nôtre, un grand bruit d’armes éclate soudain, et l’armée perse tout entière se précipite en tourbillons vers les murs. La tourmente guerrière se déchaîne alors avec une horrible violence, toute cette masse effrayante de cavalerie luttant de vitesse, et se disputant à qui prendrait le plus tôt part au conflit ; et les assiégés, d’autre part, opposant à tous ses efforts une détermination ardente autant qu’inflexible.

(7) Plus d’une tête, parmi les ennemis, fut brisée par les blocs de pierre partis de nos scorpions ; plus d’un cadavre embarrassa le sol, percé d’outre en outre par nos flèches et nos javelots de rempart. Une foule de blessés se replia précipitamment sur ceux qui s’avançaient pour les soutenir.

(8) Mais les pertes du côté de la ville n’étaient ni moins grandes ni moins douloureuses : le ciel était littéralement obscurci par les flèches des Perses. Le jeu des machines de guerre qu’ils s’étaient procurées par le pillage de Singare fut encore fatal à plus d’un parmi nous.

(9) On ne quittait un moment les murs qu’à tour de rôle, et pour y revenir après avoir repris des forces. Ici le blessé, retournant au combat, était renversé pour ne se relever plus, et, en tombant, entraînait son voisin dans sa chute. Un autre encore vivant, bien que hérissé de flèches, cherchait partout une main qui pût extraire les dards de ses plaies.

(10) Si grande était la soif de sang de part et d’autre, que ce massacre durait encore à la chute du jour, et se ralentit à peine à l’approche des ténèbres.

(11) On passa réciproquement la nuit sous les armes. L’écho des collines renvoyait les cris des deux armées : les nôtres exaltant les vertus de Constance, et le saluant de maître du monde et de dominateur suprême ; les Perses donnant à Sapor les titres de Saansan et de Pyrose, termes qui équivalent, dans leur langage, à ceux de roi des rois et de triomphateur.

(12) Les trompettes sonnèrent avant l’aube ; et, animés d’une même fureur, les innombrables escadrons s’avançaient comme des nuées d’oiseaux de passage. De tous côtés à la fois l’œil n’apercevait au loin que le scintillement de l’armure des barbares.

(13) Tout à coup ils jettent de grands cris, et s’élancent confusément vers la ville ; mais ils sont accueillis par une grêle de traits lancés du