Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/133

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sauve, avec permission de retourner à Alexandrie, où il était né.

(13) Un sort favorable en sauva quelques-uns encore, en aidant à la manifestation de leur innocence. Mais on vit la prévention se multiplier à l’infini, et bientôt envelopper dans ses réseaux inextricables des victimes sans nombre, qui périrent le corps déchiré par la torture, ou subirent la condamnation capitale, avec la perte de tous leurs biens. Paul était l’âme de cette œuvre d’iniquité. Son imagination, féconde en moyens de nuire, était comme un arsenal de toute espèce de calomnies. On peut dire que d’un signe de lui dépendait le sort de chacun des accusés.

(14) Vous aviez porté au cou quelque amulette, comme préservatif contre la fièvre quarte ou toute autre maladie, ou bien l’on vous avait remarqué passant le soir près d’un tombeau ; c’en était assez pour être dénoncé et condamné à mort, comme fabriquant des poisons ou comme violant les sépulcres, et troublant le repos des mânes pour composer des maléfices ; et l’exécution suivait de près la sentence.

(15) L’instruction tenait pour constant qu’un grand nombre de personnes avaient interrogé l’oracle de Clare, les chênes de Dodone et le trépied de Delphes, pour savoir quand mourrait l’empereur ;

(16) et aussitôt la tourbe adulatrice du palais de prendre texte de là pour les exagérations les plus monstrueuses, répétant partout à haute voix que l’empereur était au-dessus de la loi commune, que sa destinée était immuable, et que toute opposition viendrait se briser contre son génie.

(17) Qu’il y ait eu là de quoi motiver une enquête sérieuse, c’est ce que personne de bon sens ne s’avisera de contester. Nous ne nions pas qu’à l’existence du prince légitime ne s’attache l’idée de protection, de sauvegarde pour les gens de bien, de garantie même pour tous ; et que toutes les volontés ne doivent concourir à former autour de sa personne une barrière qu’on ne puisse franchir. C’est pour renforcer encore cette barrière que les lois Cornéliennes ne reconnaissent aucune exception, aucune immunité, en fait d’application de la torture dans le cas de lèse- majesté.

(18) Mais se prévaloir de cette nécessité triste, en outrer avec empressement les rigueurs, c’est le propre de la tyrannie, plutôt que du pouvoir régulier. L’exemple de Cicéron est meilleur à suivre. Pouvant à son choix, comme il le dit lui-même, ou frapper ou faire grâce, il aimait mieux pardonner que sévir. C’est ainsi que procède une justice calme et impartiale.

(19) Il naquit vers ce temps à Daphné, ce délicieux et splendide faubourg d’Antioche, un monstre hideux à voir autant qu’à décrire. C’était un enfant barbu, qui avait deux bouches, deux dents, quatre yeux, et deux oreilles à peine visibles : production informe, et pronostiquant la désorganisation de l’État.

(20) L’apparition de ces phénomènes, présages de convulsions politiques, est assez fréquente ; mais d’ordinaire passe inaperçue, parce qu’elle n’est plus suivie, comme jadis, de cérémonies d’expiation.

Chapitre XIII

(1) Nous avons parlé dans un livre précédent d’une expédition des Isauriens, et de leur tentative avortée contre Séleucie. Après une longue inaction, ce peuple commençait à se réveiller vers cette époque, comme un serpent que le printemps ranime et fait sortir de son repaire. Du haut de leurs roches escarpées, leurs nombreux partis venaient fondre sur les contrées limitrophes,