Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/142

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que possible, s’empressèrent de demander à Julien, pour leurs intendants, des commissions à son choix. Leur pétition fut rejetée, sans qu’ils en témoignassent ni dépit ni ressentiment.

(10) Les familiers de Julien lui ont entendu dire que la nuit qui précéda son élévation une figure, telle qu’on dépeint le génie de l’empire, lui était apparue en songe, et lui avait dit, d’un ton sévère : "Depuis longtemps, Julien, je reste invisible sur le seuil de ton palais, pour te mener aux honneurs. J’ai déjà essuyé plus d’un refus. Si cette fois tu me fermes encore ta porte en dépit de ce concert de suffrages qui t’appelle, je m’en irai triste et découragé. Mais souviens-toi que de ce jour je cesse d’habiter avec toi."

Chapitre VI

(1) Pendant que cette révolution s’opérait dans les Gaules, le terrible monarque de Perse se montrait plus impatient que jamais de conquérir la Mésopotamie ; car les excitations d’Antonin avaient doublé de puissance à l’arrivée de Craugase. Profitant de l’éloignement où se trouvait alors Constance avec son armée, il passe pompeusement le Tigre à la tête de forces imposantes, et vient mettre le siège devant Singare. Cette place était bien gardée, et, dans l’opinion de l’autorité, abondamment pourvue de tous les moyens matériels de défense.

(2) La garnison, d’aussi loin qu’elle aperçut l’ennemi, ferma les portes, occupa résolument les remparts et les tours, les garnit de machines de guerre et de projectiles, et, tous les apprêts terminés, se tint sous les armes, prêts à repousser tout ce monde d’assaillants dès qu’il tenterait l’approche de ces murailles.

(3) Le roi, par l’entremise de ses principaux chefs, essaya d’abord d’amener à composition les assiégés. N’ayant pu rien obtenir, il donna un jour entier au repos. Mais le lendemain, au lever du soleil, le drapeau de couleur de feu se déploie, et la ville est investie. Ceux-ci apportant des échelles, ceux-là dressant des machines, le plus grand nombre poussant devant eux des mantelets formés de claies d’osier, tâchent de s’ouvrir un chemin jusqu’aux murs, afin de les saper par le pied.

(4) De leur côté, les assiégés, intrépides sur leurs remparts, accablent de pierres et de traits de toute espèce ceux des assaillants qui se montrent les plus acharnés.

(5) L’assaut se renouvelle ainsi plusieurs jours de suite avec des succès douteux, et beaucoup de morts et de blessés de part et d’autre. Le dernier jour enfin, vers le soir, au moment où l’action était le plus chaude, les Perses font avancer un bélier d’une force extraordinaire, et en battent à coups redoublés une tour de forme ronde. C’est par ce même moyen qu’ils étaient parvenus à ouvrir la brèche au siège précédent.

(6) Tous les efforts alors se concentrent sur ce point, et l’on s’y bat avec fureur. Les brandons, les traits incendiaires pleuvent de toutes parts, indépendamment d’une grêle incessante de flèches et de boulets sur l’instrument destructeur, qui n’en poursuit pas moins son œuvre en dépit de tout cet orage. Sa pointe acérée perce le ciment encore frais, et par là moins capable de résistance, de la maçonnerie de la tour ;

(7) et l’édifice, au moment où il est le plus vivement disputé par le fer et par le feu, tout à coup s’écroule, et livre passage dans la ville. Les Perses aussitôt poussent un hurlement de triomphe, s’élancent par cette trouée que l’effroi dégarnit de défenseurs, et se répandent sans