Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/164

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d’un saut le prince se trouve à terre. La lune était sur son déclin, et conséquemment les nuits étaient presque sans lumière. Julien dépêche aussitôt Dagalaif et quelques hommes armés à la légère, avec ordre de lui amener Lucillien de gré ou de force.

(7) Le comte était au lit. Tiré de son repos par le bruit des armes, et se voyant entouré d’inconnus, il comprit ce dont il s’agissait, et, tremblant au nom de Julien, obéit, bien qu’à contre-cœur. Le fier général de la cavalerie, contraint de s’humilier devant la force, fut placé sur le premier cheval qui se trouva, et amené à Julien comme un prisonnier de bas étage. La terreur semblait l’avoir privé de ses sens ;

(8) mais quand il vit qu’on lui donnait la pourpre à baiser, il revint à lui, et, déjà d’un ton plus assuré : "Le pays, dit-il, n’est pas pour vous, et c’est grandement vous aventurer que d’y venir avec si peu de monde." Julien répondit avec un sourire amer : "Gardez vos bons avis pour Constance. Je ne songeais pas à vous consulter, mais bien à vous tirer de crainte. N’interprétez pas autrement ma clémence."

Chapitre X

(1) Débarrassé d’un ennemi, Julien ne s’endormit pas sur le succès ; mais, toujours d’autant plus actif et plus résolu que la circonstance était plus grave, il marcha droit à Sirmium, qu’il jugeait disposée à se donner à lui. Comme il approchait des vastes faubourgs de la ville, habitants et soldats vinrent en foule au- devant de lui avec des flambeaux et des fleurs, le saluant des noms de seigneur et d’Auguste, et le conduisirent au palais au milieu d’un concert d’acclamations et de voeux.

(2) Cette réception remplit son cœur de joie, par l’heureux pronostic qu’il en tira. D’avance il voyait les autres villes suivant à l’envi l’exemple donné par la métropole (car Sirmium tenait ce rang par son étendue et par l’importance de sa population), et sa présence partout accueillie comme l’apparition d’un astre bienfaisant. Le lendemain il donna au peuple, qui en témoigna la joie la plus vive, le spectacle d’une course de chars, et le jour suivant gagna sans délai, par la voie publique, le pas de Sucques, qu’il occupa fortement sans coup férir, et dont il confia la défense à Névitte, sur la fidélité duquel il pouvait compter. Il est bon de donner une idée de cette position militaire.

(3) C’est un défilé formé par la jonction des deux chaînes du Rhodope et de l’Hémus, dont l’une s’appuie aux rives du Danube, et l’autre à celles du fleuve Axius. Ces montagnes élèvent entre la Thrace et l’Illyrie une forte barrière, laissant d’un côté le pays des Daces et la Serdique, et, de l’autre, les nobles cités de Thracie et de Philippopolis. La nature semble avoir à dessein configuré cette région dans l’intérêt à venir de la domination romaine. Jadis ce n’était qu’une gorge obscure, resserrée entre deux collines ; mais, se modifiant selon l’échelle de grandeur de l’empire, la gorge devint une large voie praticable aux voitures. En fermant ce passage, on a plusieurs fois arrêté les efforts des plus grands capitaines et des plus nombreuses armées.

(4) Sur le versant qui fait face à l’Illyrie, le mont s’abaisse suivant un plan à peine incliné, et dont la pente est comme insensible. Celui qui regarde la Thrace est au contraire coupé presque à pic, n’offrant çà et là qu’un petit nombre de sentiers abrupts qu’on a peine à gravir, même sans autre obstacle que ceux qu’oppose la nature. En deçà et au-delà de