Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/173

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du mérite, il ne conféra de charge au palais qu’après avoir, pour ainsi dire, pesé, la balance en main, tous les titres : nul n’arriva d’emblée sans avoir fait ses preuves. D’avance on savait à qui était dévolu, après dix ans de services, le titre de trésorier, de maître des offices, ou tel autre emploi que ce fût. Très rarement se rencontra-t-il qu’à celui qui avait porté les armes fut confié le maniement des affaires civiles ; mais nul, sans un long apprentissage du métier de soldat, n’obtint jamais l’honneur de lui commander.

(4) Constance était grand amateur des lettres ; mais son génie n’était point dirigé vers l’éloquence ; et ses essais en poésie ne furent pas plus heureux.

(5) Son régime de vie était frugal et sobre. Il dut à sa modération dans les repas de n’être que très rarement malade, bien qu’il ne le fût jamais sans danger pour ses jours. L’expérience, d’accord avec la théorie médicale, prouve qu’il en est ainsi d’ordinaire chez les personnes qui s’abstiennent d’excès.

(6) Il savait au besoin prendre sur son sommeil, et se montra constamment chaste au point qu’il ne fut pas même soupçonné d’intimités contre nature ; vice, on le sait, que la malignité prête à tout hasard aux grands, par la seule raison qu’ils peuvent tout.

(7) Excellent cavalier, il maniait le javelot, et l’arc surtout, avec une adresse merveilleuse, et n’était pas moins habile aux exercices de l’infanterie. Je ne répéterai pas ici ce qu’on a dit tant de fois de son habitude de ne cracher, ni se moucher, ni tourner la tête en public, non plus que de son abstinence de toute espèce de fruits.

(8) Je viens d’énumérer tout ce qu’on lui connut de bonnes qualités ; passons maintenant les mauvaises en revue. Pour peu qu’il fût sur la voie d’une accusation d’aspirer au trône, si frivole ou même absurde qu’en fût le prétexte, il ne lâchait plus prise, et en suivait le fil sans fin ni terme, ne reculant devant aucun moyen, qu’il fût légitime ou non, d’arriver à son but. Et ce prince, qu’à tout autre égard on pourrait ranger parmi les modérés, surpassait alors en atrocité les Caligula, les Domitien, les Commode. La façon dont il se défit de ses parents, au début de son règne, annonçait un émule de ces monstres.

(9) Il aggravait la condition des accusés par la dureté des formes, la persistance envenimée des incriminations. La torture était appliquée sur la plus légère prévention avec des rigueurs inconnues avant lui, et sous l’œil d’une surveillance impitoyable. La mort même, dans les exécutions, était rendue aussi lente que le permet la nature. Il fut, sous ce rapport, moins accessible à la pitié que Gallien lui-même ;

(10) car ce dernier, qui eut constamment à défendre sa vie contre les conspirations trop réelles d’Auréole, de Posthume, d’Ingénu, de Valens (dit le Thessalonique) et de tant d’autres, se relâcha cependant plus d’une fois de la peine capitale envers les coupables. Sous Constance, au contraire, une menteuse confirmation fut souvent arrachée par l’excès des tortures.

(11) Il était dans ces occasions ennemi de toute justice, lui qui tenait si fort à paraître juste et clément. Comme ces étincelles qui s’échappent d’une forêt en temps de sécheresse, et vont inévitablement porter aux hameaux voisins l’embrasement et la mort, le fait le plus léger devenait entre ses mains le germe d’une proscription immense. Quel contraste avec ce Marc-Aurèle, qui en pareil cas fermait