Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/242

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

oublier qu’il combat nu. Vainement ses gardes, qui eux-mêmes avaient d’abord plié, lui crient de se défier de cette masse de fuyards comme d’un édifice qui s’écroule. un javelot de cavalier, lancé par une main inconnue, effleurant la peau de son bras, lui perce les côtes et s’enfonce dans le foie.

(7) Julien ne peut arracher le trait, dont le fer à double tranchant lui entame les doigts ; il tombe de cheval. On l’entoure, on le relève. Il est transporté au camp, où les secours de l’art lui sont appliqués sans délai.

(8) Sitôt que la douleur fut un peu calmée, Julien, revenu à lui, demande son cheval et ses armes. Sa grande âme lutte contre la mort. Il veut retourner au combat et rendre aux siens la confiance, ou du moins témoigner, par un acte d’abnégation personnelle, de sa vive sollicitude pour leur salut. Avec le même courage, mais dans une préoccupation d’esprit différente, l’illustre Épaminondas, blessé mortellement à Mantinée, s’enquérait avec inquiétude du sort de son bouclier. La mort lui sembla douce dès qu’on lui eut représenté cette arme. L’idée seule de l’avoir perdue jetait le trouble dans cette âme que rapproche du trépas ne pouvait ébranler.

(9) Mais les forces de Julien ne répondaient plus à son ardeur ; son sang coulait à flots : il fallut demeurer. L’espoir même de vivre s’éteignit en lui quand, sur sa demande, on lui eut dit que l’endroit où il était tombé s’appelait Phrygie. Car, suivant une prédiction, Phrygie était le nom du lieu où l’attendait la mort.

(10) On ne saurait peindre la douleur et la soif de vengeance qui s’empara des soldats à la vue de leur prince qu’on rapportait au camp. Ils volaient à l’ennemi, frappant de leurs javelots sur leurs boucliers, en hommes décidés à périr. Aveuglés par la poussière, épuisés de chaleur, sans chef pour les conduire, tous se ruaient, comme par instinct, sur le fer des Perses.

(11) Ceux-ci, de leur côté, multipliaient d’autant les volées de leurs flèches, qui formaient un nuage entre eux et les Romains. Au-devant de leurs lignes s’avançaient avec lenteur les monstrueux éléphants à la tête empanachée, terrifiant par leur seul aspect les chevaux et même les guerriers.

(12) On n’entendait au loin qu’un retentissement confus de combattants qui se choquaient, de mourants qui gémissaient, de chevaux qui hennissaient ; et cette affreuse rumeur ne cessa que lorsqu’on fut las de tuer, et que la nuit fut venue jeter son voile sur les efforts des deux partis.

(13) Cinquante satrapes ou grands dignitaires périrent dans cette mêlée, avec une multitude de soldats. Le Mérane et Nohodarès, généraux du premier renom, furent au nombre des morts. Laissons donc l’antiquité s’extasier en pompeux langage devant les vingt combats de Marcellus, y joindre les nombreuses couronnes militaires de Sicinius Dentatus, et prodiguer enfin son admiration à ce Sergius qui, en différents combats, reçut, dit-on, vingt-trois blessures ; gloire souillée et flétrie à jamais par Catilina, dernier héritier de ce nom. Mais notre avantage se trouvait balancé par des pertes sensibles.

(14) Après la retraite de Julien, Anatole, maître des offices, fut tué à l’aile droite, qui plia. Le préfet Salutius vit tomber à ses côtés son conseiller Sophore, et n’échappa lui-même au trépas que par l’assistance de son appariteur qui le tira de la mêlée. Un parti des nôtres, réduit à toute