Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/285

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

étudié. Quoique ses mœurs et ses goûts ne soient pas formés encore, on voit déjà, et son éducation en est un sûr garant, qu’il saura juger du mérite des choses et des hommes. Avec lui les bons seront appréciés. Toujours près des aigles et des enseignes, il les précédera même pour courir à la gloire ; endurant et l’ardeur du soleil, et le froid pénétrant de la neige et des frimas, il saura, s’il le faut, vous faire de son corps un rempart, et donner sa vie pour les siens. Enfin, pour embrasser d’un mot toute l’étendue de ses obligations, la république lui sera chère comme la maison de ses aïeux."

(10) Ce discours à peine fini fut accueilli du plus flatteur murmure ; tous les rangs de l’armée luttant d’empressement et d’allégresse, comme si chaque soldat eût tenu à constater la part qu’il prenait à cet acte solennel. Gratien fut proclamé empereur au son réuni de toutes les trompettes, auquel se mêlait un retentissement adouci des armes.

(11) Valentinien en conçut l’augure le plus favorable ; et, après avoir embrassé son fils et l’avoir revêtu des ornements du rang suprême, il s’adresse ainsi au jeune homme, rayonnant sous sa nouvelle parure, et prêtant à son père l’oreille la plus attentive

(12) "Vous voilà, mon cher Gratien, par mon suffrage et celui de mes compagnons d’armes, revêtu de la pourpre impériale. On ne saurait l’obtenir sous de plus heureux auspices. Habituez-vous, comme collègue de votre père et de votre oncle, à prendre votre part du fardeau des affaires publiques ; à fouler du pied, s’il le faut, le lit glacé du Rhin et du Danube ; à ne mettre personne entre vous et votre armée ; à répandre, mais non pas inconsidérément, votre sang pour vos sujets ; enfin, à ne rien regarder comme étranger à vous de ce qui touche votre peuple.

(13) Je n’en dis pas plus aujourd’hui ; mais dans l’occasion mes avis ne vous manqueront pas. Quant à vous, braves défenseurs de l’empire, je vous confie votre jeune empereur. Entourez-le, je vous en conjure, de fidélité et d’amour."

(14) À ces mots, que la solennité rendait imposants, Eupraxe, né dans la Mauritanie Césarienne, et alors garde des archives, s’écria le premier : "La famille de Gratien a droit à cet honneur." Il fut fait questeur sur-le-champ. Plus d’un trait de sa conduite dans cette charge pourraient être cités comme exemples à suivre. Il s’y montra serviteur fidèle, mais non servile ; inflexible et sans passion comme la loi, qui ne fait acception de personne ; et d’autant plus incapable de transaction, qu’il avait pour maître le plus emporté des princes et le plus enclin à l’arbitraire.

(15) On se répandit alors en louanges sur les deux empereurs. Le plus jeune en attirait la plus grande part. En effet, le feu de ses yeux, les grâces de sa figure et de toute sa personne, la bonté de son naturel, auraient formé un ensemble bien fait pour soutenir le parallèle avec les princes les plus accomplis, si, trop peu ferme encore pour les épreuves qui l’attendaient, ce noble caractère eût su mieux se défendre contre l’influence des mauvais conseils.

(16) En conférant le titre d’Auguste et non celui de César à son frère et à son fils, Valentinien mit le sentiment de famille au-dessus de l’usage établi.