Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/29

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tième fois avec Gallus, qui l’était pour la troisième, partit d’Arles au retour de la belle saison, pour porter la guerre chez les Allemands, dont les fréquentes incursions, sous la conduite de leurs rois Gundomade et Vadomaire son frère, semaient le ravage parmi leurs voisins de la Gaule. Le prince s’arrêta longtemps à Valence, attendant des vivres d’Aquitaine, parce que les torrents, enflés par la fréquence extraordinaire des pluies, entravaient l’expédition des convois. Pendant ce séjour forcé arrive Herculanus, qui servait dans les protecteurs, et qui était fils de cet Hermogène, général de la cavalerie, massacré à Constantinople, ainsi qu’il a été dit plus haut, dans un soulèvement populaire. L’empereur, au fidèle rapport que lui fit cet officier de la conduite de Gallus, ne put que gémir amèrement sur le passé, et concevoir de vives alarmes pour l’avenir. Il fit toutefois effort pour cacher le trouble de son esprit. Cependant les troupes concentrées sur Chàlons s’irritaient de tant de retards ; d’autant plus que, les convois n’arrivant pas, les distributions vinrent à manquer. Dans cette circonstance, Rufin, préfet du prétoire, eut à remplir la plus dangereuse des missions, celle de faire entendre raison aux soldats, en leur démontrant que la pénurie dont ils souffraient était involontaire. Il lui était formellement enjoint d’entrer en pourparler avec ces esprits farouches, exaspérés par la faim, et naturellement portés à en vouloir à l’autorité civile. Dans le fait, ce n’était rien moins qu’un coup monté pour le perdre ; on voulait se défaire de cet oncle de Gallus, dont l’influence politique pouvait servir d’appui aux vues pernicieuses de son neveu. Mais il se tira d’affaire avec adresse, et le dessein fut ajourné. Eusèbe, grand chambellan, arriva ensuite à Châlons avec une somme considérable, dont la distribution, faite sous main entre les meneurs, calma l’effervescence, et assura la vie du préfet. Bientôt des arrivages nombreux rétablirent l’abondance dans l’armée, et l’on put prendre jour pour lever le camp.

Après plusieurs marches pénibles dans des défilés où il fallut se faire jour au travers des neiges, on atteignit enfin le Rhin près de Rauraque. Alors une multitude d’Allemands se montra sur l’autre rive, et, par une grêle de traits, empêcha les Romains de jeter un pont de bateaux. L’obstacle semblait insurmontable, et l’empereur, abîmé dans ses réflexions, ne savait quel parti prendre, quand il se présenta, lorsqu’on y pensait le moins, un guide bien au fait des localités, qui indiqua, moyennant salaire, un gué dont on se servit la nuit suivante. Le fleuve une fois franchi sur un point éloigné, tout ce pays allait être surpris et ravagé à l’improviste ; mais l’ennemi, à qui il fallait dérober ce mouvement, en eut secrètement avis par des Allemands de nation, pourvus de grades éminents dans notre armée. Tel est du moins le soupçon qui plana sur trois officiers, le comte Latin des protecteurs, Agilon, grand écuyer, et Scudilon chef des scutaires, considérés tous trois jusque-là comme les plus fermes colonnes de l’empire. En présence d’un tel danger, les barbares tinrent conseil d’urgence sur ce qu’il y avait à faire ; et, soit que les auspices aient été menaçants, ou qu’ils aient lu la défense de combattre dans leurs sacrifices, l’énergie qu’ils avaient montrée d’abord tomba tout à coup, et