Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/313

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(13) Tandis que le temps se passe à prendre des renseignements et à attendre les réponses, les Austoriani, enflés de leur double succès, reviennent à la charge comme des oiseaux de proie qui ont senti le carnage, tuent tout ce qui ne peut fuir assez vite, emportent le butin dont ils n’avaient pu se charger dans les deux précédents pillages, et coupent les arbres et les vignes.

(14) Un citoyen très riche et très influent, nommé Mychon, surpris par eux dans sa maison de campagne, réussit cependant à s’échapper de leurs mains avant d’être garrotté. Mais une infirmité qu’il avait aux jambes l’empêchant de fuir, il se jeta dans un puits à sec, d’où les barbares le tirèrent avec une côte rompue. Ils le traînèrent ensuite jusque sous les murs de la ville, où la vue de cet infortuné émut la compassion de sa femme, qui paya sa rançon. Alors on le hissa sur le rempart avec une corde, et il mourut deux jours après.

(15) Enfin les brigands, de plus en plus acharnés, poussèrent l’insolence jusqu’à attaquer les défenses de Leptis. La ville aussitôt retentit des lamentations désespérées des femmes, qui, pour la première fois, se voyaient enfermées pour subir un siège. Celui-ci toutefois ne dura que huit jours. Les assaillants, voyant qu’ils y perdaient inutilement du monde, se retirèrent, assez humiliés de cet échec.

(16) Mais la position des habitants n’en était pas moins critique. Point de nouvelles des députés. On tente un dernier effort, en chargeant Jovin et Pancrace de remettre encore sous les yeux du prince le tableau de souffrances qu’ils ont vues et partagées. À Carthage, ceux-ci rencontrent Sévère et Flaccien, leurs prédécesseurs, qui ne purent rien répondre à leurs questions inquiètes, sinon qu’ils étaient renvoyés devant le comte et le lieutenant. Sur ces entrefaites, Sévère tombe malade et meurt. Les deux nouveaux commissaires n’en poursuivent pas moins leur voyage en toute célérité.

(17) Arrive Pallade en Afrique. Romain, averti de cette mission, et comprenant quel danger pouvait en résulter pour lui, dépêche aussitôt un de ses affidés à chacun des chefs de corps, leur conseillant de faire sous main de larges remises, sur les fonds de la solde, à l’homme influent et bien en cour à qui ce rôle important avait été confié. La manœuvre eut un plein succès.

(18) Pallade, empochant les deniers, s’achemine vers Leptis ; et là, pour constater plus sûrement les faits, se fait accompagner d’Erechthius et d’Aristomène, magistrats distingués de la ville, sur le théâtre des dévastations. Beaux parleurs tous deux, ceux-ci ne s’épargnèrent pas en doléances sur les maux endurés par eux, par leurs concitoyens, et par les habitants des campagnes voisines.

(19) Pallade vit de ses yeux toutes les misères de la province. Il revint invectivant amèrement contre la coupable négligence du gouverneur, et déclarant tout haut qu’il dirait au prince toute la vérité. Alors Romain, piqué au vif, le menaça d’un contre-rapport, où il révélerait à l’empereur les détournements opérés sur la solde au profit de l’incorruptible agent qu’il avait choisi.

(20) Par réciprocité d’infamie, une collusion s’établit ainsi entre ces deux hommes. Pallade, de retour près du prince, lui persuada, par le plus mensonger des récits, que les Tripolitains se plaignaient sans raison. Là-dessus il est lui-même renvoyé en Afrique avec Jovin, le seul membre restant de la seconde députation (Pancrace était mort à Trèves),