Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/317

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milieu des tourments, voilà tout à coup Pallade qui s’écrie : "Qu’il s’agit bien de ce qu’on a pu faire ou tenter contre le trésorier ! qu’on le tracasse sur des vétilles ; mais que si l’on veut suspendre et le laisser parler, il va dévoiler une trame d’une tout autre portée ; trame machinée de longue main, et qui, si l’on n’y met ordre, peut aboutir à une subversion générale." Invité à s’expliquer librement, cet homme se lance dans une déposition à perte de vue. Il affirme en premier lieu que l’ex-président Fiduste, de concert avec Pergame et Irénée, est parvenu, par des conjurations, à connaître le nom du successeur de Valens.

(7) Le hasard voulut que Fiduste se trouvât sous la main. Il est arrêté, et secrètement introduit. Confronté avec son accusateur, il n’essaya pas même de nier les faits articulés, et déchira complètement le voile de la plus déplorable intrigue. Il convint sans hésiter d’entretiens qu’il avait eus avec Hilaire et Patrice, versés tous deux dans la divination, et dont le premier avait servi dans les milices du palais, touchant l’héritier immédiat du trône. Le sort, interrogé par magie, leur avait révélé le nom d’un prince par excellence, et leur avait appris en même temps qu’ils étaient menacés d’une mort tragique.

(8) Ils s’étaient alors demandé quelle était, parmi les contemporains, l’âme d’élite à qui appartenait ce nom prédestiné ; et ils avaient cru trouver dans Théodore, alors arrivé au second degré du notariat, la personnification de leur idée. Théodore était en effet tel qu’ils l’avaient jugé. Issu d’une ancienne et illustre famille des Gaules, il avait reçu dès l’âge le plus tendre une éducation libérale et brillante. Doux, sage et modeste, éminemment doué des grâces de la personne et des lumières de l’esprit, il s’était montré constamment au-dessus de chaque nouvel emploi qu’on lui confiait, et s’était fait bien venir également de ses supérieurs et de ses subordonnés. C’était peut-être le seul homme dont on pût dire que sa langue, toujours gouvernée par la raison, n’était jamais enchaînée par aucune crainte.

(9) À cette déclaration, Fiduste, torturé presque jusqu’à la mort, ajouta qu’il avait fait part de la prédiction à Théodore par l’entremise d’Eusère, homme lettré et très haut placé dans le monde, car il avait récemment administré l’Asie comme lieutenant des préfets.

(10) Eusère est aussitôt jeté en prison. Au rapport qu’on fit à Valens de l’affaire, sa férocité naturelle, fomentée par les lâches complaisances de son entourage, s’enflamma soudain comme un météore destructeur. Le plus insigne flatteur de tous était Modeste, préfet du prétoire,

(11) que tourmentait jour et nuit l’appréhension de se voir donner un successeur. Ses compliments alambiqués, dont l’exagération touchait à l’ironie, n’en chatouillaient pas moins agréablement l’oreille peu délicate de Valens. Modeste qualifiait son informe élocution de faconde cicéronienne, et poussa un jour la fanfaronnade de l’adulation jusqu’à affirmer que l’empereur n’avait qu’à le vouloir pour faire comparaître les corps célestes devant lui.

(12) Théodore fut incontinent enlevé de Constantinople, où l’avaient appelé ses affaires privées. En attendant, l’instruction était suivie sans désemparer, et journellement les prévenus les plus distingués par leur rang ou leur naissance se voyaient arracher des points les plus éloignés de l’empire.

(13) Les cachots, que dis-je ? les demeures privées, converties en prisons, ne suffisaient plus à contenir la multitude