Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/34

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Tandis qu’il était là gardé de près, et que son imagination, terrifiée, anticipait les horreurs du dénoûment, arrivent en toute hàte Eusèbe, grand chambellan, et Mellobaudes, tribun de l’armature, chargés par l’empereur de lui faire subir un interrogatoire particulier sur chacun des meurtres commis en son nom à Antioche. Gallus, à cette annonce, devint pâle comme Adraste, et recueillit à peine assez de force pour dire que les instigations de sa femme Constantine avaient fait presque tout. Apparemment il ignorait cette belle parole d’Alexandre le Grand à sa mère Olympias, qui lui demandait la mort d’un innocent, comme récompense, disait-elle, d’avoir porté ce prince neuf mois dans son sein. « Demandez autre chose, ma mère ; aucun bienfait n’équivaut à la vie d’un homme ». Constance fut piqué jusqu’au vif de cette excuse ; il ne vit plus de salut pour lui-même que dans la perte de Gallus. Et, sans plus attendre, il dépêcha Sérénien, que l’on a vu plus haut échapper, comme par miracle, à l’action de lèse-majesté, de concert avec le notaire Pentade et son intendant Apodème, avec ordre de procéder à l’exécution.

On lia donc les mains à Gallus comme à un voleur, et le fer trancha sa tête, ne laissant qu’un tronc informe de ce prince, naguère la terreur des villes et des provinces. Mais la justice divine se signala doublement en cette circonstance ; car si Gallus n’encourut que la peine due à ses cruautés, les deux traîtres dont les caresses et les parjures l’avaient fait tomber dans le piège où l’attendait la mort eurent également tous deux une fin misérable. Scudilon périt d’un ulcère qui lui fit rendre les poumons. Quant à Barbation, qui de longue main s’était fait arme du faux comme du vrai contre son propre maître, on le vit, il est vrai, parvenir au rang de général de l’infanterie ; mais, sacrifié lui-même à une sourde accusation de porter plus haut ses vues, il ne tarda pas à faire de son sang une offrande funèbre aux mânes du prince qu’il avait trahi.

Ici, comme en mille autres exemples (et que n’en est-il toujours de même !), il faut reconnaître la main d’Adraste ou Némésis, car on lui donne ces deux noms. Quelle que soit l’idée qu’ils représentent, ou juridiction rémunératrice et vengeresse, rendant ses arrêts, suivant l’opinion vulgaire, d’une région des cieux élevée au-dessus du globe de la lune ; ou, suivant une autre définition, intelligence toute puissante et tutélaire, dont la sollicitude, à la fois générale et individuelle, préside aux destins de l’humanité ; ou fille de la justice, d’après la théogonie ancienne, qui des profondeurs de l’éternité surveille invisiblement toutes choses ici-bas ; ces deux noms n’en expriment pas moins la souveraine puissance, arbitre des causes, dispensatrice des effets ; celle qui tient l’urne des destinées, crée les vicissitudes, renverse les combinaisons de la prudence mortelle, et du conflit des circonstances fait jaillir des résultats inattendus ; celle encore qui, enchaînant l’orgueil humain des nœuds inextricables de la nécessité, donne à son gré le signal des élévations et des abaissements de fortune, abat et prosterne les esprits superbes, inspirant aux humbles et aux simples le courage de sortir d’abjection. La fabuleuse antiquité lui a prêté des ailes, pour faire entendre qu’elle se