Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/347

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et à peine trouvait-il pour les grands une parole sévère.

(4) Il faisait exception cependant pour Probus, qu’il ne put jamais souffrir, et à l’égard duquel il n’eut jamais qu’un ton menaçant ou acerbe. Il n’y avait dans cette aversion ni mystère ni caprice. Probus, récemment saisi du poste de préfet du prétoire, voulait avant tout le conserver ; et plût aux dieux qu’il n’eût employé pour s’y maintenir que des moyens légitimes ! mais, infidèle aux traditions de sa famille, il préféra la voie de la bassesse à celle de l’honneur.

(5) Sachant bien qu’il avait affaire à un prince avide et sans scrupules, au lieu de tâcher, en conseiller intègre, de le remettre dans le chemin de l’équité, lui-même il prit la fausse route.

(6) De là ce régime oppresseur, ces inventions de fiscalité, destructives des grandes comme des petites fortunes, et sur lesquelles une longue pratique des procédés de l’exaction trouvait sans cesse à enchérir. On vit, par la multiplicité, les charges accablantes des impôts, les plus grands noms réduits à s’expatrier, pour se soustraire aux extrémités dont les menaçaient des exigences impitoyables, ou aller indéfiniment peupler les prisons. Il y en eut que le désespoir poussa jusqu’à recourir au nœud coulant, pour en finir avec l’existence.

(7) La voix publique ne cessait de flétrir une administration si dissolue et si impitoyable. Mais l’oreille de Valentinien était sourde à cette rumeur. Il lui fallait de l’argent, n’importe de quelle source ; l’argent lui arrivait ; sa pensée n’allait pas plus loin. Il sut trop tard ce qu’il en coûtait à la Pannonie, car ses douleurs eussent trouvé grâce devant lui. Voici en quelle occasion il ouvrit enfin les yeux.

(8) La province d’Épire, contrainte comme les autres à mettre, par députation, au pied du trône les remerciements du pays, confia cette mission au philosophe Iphiclès, homme du caractère le plus ferme, et qui ne l’accepta qu’à contre-cœur.

(9) Présenté à l’empereur, qui le reconnut et lui demanda ce qui l’amenait, il lit sa réponse en langue grecque. Comme le prince insistait pour savoir si c’était du fond du cœur que ses compatriotes rendaient ce bon témoignage de leur préfet : "C’est en gémissant, dit le philosophe véridique, et comme contraints et forcés."

(10) Ce mot frappa Valentinien comme un trait ; et, pour sonder adroitement son interlocuteur sur la conduite de Probus, le voilà qui lui demande en sa langue des nouvelles de telle ou telle personne notable par sa noblesse, ses talents, ou l’éminence de ses fonctions. Or celui-ci s’était pendu, celui-là était dans l’exil au- delà des mers, cet autre avait tourné le fer contre son sein, ou bien avait péri sous le plomb des lanières. Valentinien entra dans une colère effroyable, que, pour comble d’infamie, Léon, maître des offices, eut grand soin d’attiser. Léon ambitionnait la préfecture pour son propre compte, sans doute afin de tomber de plus haut. Et certes ce qu’il eût osé, une fois en possession d’un tel pouvoir, aurait, par comparaison, fait porter aux nues l’administration de Probus.

(11) L’empereur, à Carnuntum, employa les mois d’été à pourvoir à l’armement et à la subsistance des troupes, attendant une occasion favorable pour fondre sur les Quades, premiers auteurs de la désolation