Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/353

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

L’envie dévorait ce prince. Il savait qu’il est peu de vices qui ne puissent prendre l’apparence de quelque vertu : aussi disait-il souvent que la sévérité est compagne inséparable de l’autorité légitime. La grandeur se croit tout permis ; devant elle il faut que tout genou plie, que tout éclat s’efface. Valentinien ne pouvait souffrir que l’on fût bien vêtu, que l’on eût du savoir, de la fortune, une noble naissance. Il voulait que tout mérite s’effaçât, qu’il n’y eût de supériorité que la sienne. C’était aussi le défaut de l’empereur Hadrien.

Valentinien témoignait le dernier mépris pour le manque de courage ; il l’appelait bassesse d’âme et souillure. Tout homme atteint de ce défaut devait, disait-il, être conspué, relégué au dernier degré de l’échelle sociale. Lui-même cependant se laissait aller parfois aux plus chimériques terreurs, et pâlissait devant le fantôme enfant de son imagination. Le maître des offices, Remige, connaissait bien ce faible de son maître. Aussi ne manquait-il pas, dès qu’il le voyait se courroucer, de glisser dans l’entretien quelques mots de fermentation manifestée par les barbares ; et il voyait soudain le monarque s’adoucir sous l’impression de la peur, et rivaliser désormais de calme et de sérénité avec Antonin le Pieux. Valentinien ne choisit jamais avec intention de mauvais juges ; mais une fois qu’il les avait nommés, leur conduite fût-elle détestable, il disait avoir rencontré en eux la personnification de la justice antique, des Lycurgues, des Cassius ; et il ne cessait de les exhorter dans ses lettres à sévir rigoureusement, même contre les plus légères fautes. Pour ceux que frappaient leurs arrêts, aucun espoir en la clémence du prince, qui cependant aurait dû s’ouvrir pour eux comme un port au milieu de la tempête ; car la fin du pouvoir, suivant la définition des sages, est le bien-être et la sécurité des sujets.

IX. Reste à parler, pour être juste, des qualités qui recommandent Valentinien à l’estime et à l’imitation des bons princes, et qui, si elles eussent brillé sans contraste, eussent fait de lui un Trajan, un Marc Aurèle. Il ménagea singulièrement les provinces, allégeant pour elles le poids des impôts. On lui doit la création de plusieurs places fortes, et d’une admirable ligne de défense des frontières. Il eût mérité le titre de restaurateur de la discipline militaire si, tout en punissant les moindres fautes chez le soldat, il n’eût montré une tolérance inexcusable pour les excès des chefs, et de ce côté fermé l’oreille aux plaintes. De là les troubles de Bretagne, le soulèvement de l’Afrique, et le désastre de l’Illyrie.

Observateur rigide de la pureté des mœurs, il fut chaste dans sa vie privée comme dans sa vie publique, et mit par son exemple un frein à la licence de la cour. La réforme fut d’autant plus efficace, qu’elle ne ménageait pas même ses parents, dont les écarts en ce genre ne manquaient jamais d’encourir ses reproches ; ou même sa disgrâce. Il fit exception toutefois pour son frère ; mais en l’associant à sa puissance, il obéissait à la nécessité du moment.

Il apportait une attention sérieuse au choix des délégués de son autorité. Sous son règne on ne vit ni banquier gouverneur de province, ni charge vendue à l’encan ; si ce n’est peut-être dans les débuts, moments de transition où les plus criants abus profitent, pour se