Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/38

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péremptoire : il prouva que dans ces deux cas ses démarches avaient été autorisées. Mais il n’en eût pas moins succombé sous les efforts combinés des courtisans si la reine Eusébie, mue sans doute par une inspiration surnaturelle, n’eût elle-même intercédé pour lui. On se borna donc à le reléguer à Côme, près de Milan, où il ne fit qu’une résidence assez courte. Son ardente passion pour le culte de l’intelligence trouva bientôt à se satisfaire dans la permission qui lui fut donnée de se retirer en Grèce.

Quelques autres des procès intentés à cette époque eurent aussi ce qu’on pourrait appeler une heureuse issue : ou la persécution échoua, ou la justice n’atteignit que de vrais coupables. Néanmoins il arriva plus d’une fois que le riche obtint l’impunité par une obsession opiniâtre, et par la corruption pratiquée sur une grande échelle ; tandis que ceux qui avaient trop peu, ou qui n’avaient rien pour payer la rançon de leur vie, étaient impitoyablement jugés et condamnés. Ainsi vit-on plus d’une fois la vérité succomber sous le mensonge, et le mensonge érigé en vérité.

On fit aussi le procès à Gorgonius, chambellan de César. Mais, bien qu’il fût convaincu par ses propres aveux d’avoir été le complice et quelquefois l’instigateur des excès de son maître, la cabale des eunuques sut si bien travestir les faits, que le coupable échappa au châtiment.

III. Pendant que de telles scènes affligeaient Milan, un grand nombre d’officiers et de gens de cour arrivaient prisonniers à Aquilée. Ces malheureux se traînaient languissamment sous le poids des chaînes, maudissant une vie qui leur imposait de semblables souffrances. On les accusait d’avoir été les ministres des fureurs de Gallus, d’avoir pris une part active aux atrocités exercées contre Domitien et Montius, et à toutes les exécutions précipitées dont tant d’autres avaient été victimes. Mission fut donnée d’entendre les accusés à Arboreus et à Eusèbe, grand chambellan de l’empereur ; deux esprits arrogants jusqu’à la forfanterie, deux hommes d’injustice et de violence. Ceux-ci ne prirent même pas la peine d’examiner ; et, sans distinction d’innocents et de coupables, ils exilèrent les uns, après les avoir fait battre de verges ou passer par les tortures, en firent descendre un certain nombre au rang de simples soldats ; le reste paya de sa vie.

Après avoir ainsi chargé les bûchers de victimes, les deux commissaires revinrent triomphants rendre compte de leur mission à l’empereur, qui cette fois, comme en toute occasion, fit preuve d’endurcissement et de rancune persévérante. Dès ce moment, et par une sorte d’impatience d’avancer le terme assigné à chacun par les destinées, Constance ouvrit son âme tout entière aux délateurs. Aussi vit-on bientôt pulluler cette espèce de limiers de bruits publics. Leur fureur déchira d’abord à belles dents les hauts dignitaires, et finit par s’en prendre aux petits comme aux grands. Il n’en était pas de cette engeance comme des frères Cibyrates de Verrès, qui léchaient le tribunal d’un seul préteur : leur rage à eux s’attaquait à toutes les parties de l’État, pour y faire sans cesse de nouvelles blessures. Les coryphées de cette industrie étaient Paul et Mercure, ce dernier Perse d’origine, l’autre Dace de naissance. Le premier était notaire ; le second, d’officier de la bouche était devenu maître des comptes. Paul, avons-nous dit, s’était acquis le