Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/41

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les rangs ne sont plus gardés, et des masses confuses et dispersées offrent, en tournant le dos, un but plus sûr aux coups de l’ennemi. Cependant, à la faveur de la nuit, un certain nombre échappa en prenant des chemins de traverse, et, retrouvant enfin le courage avec le jour, rejoignit individuellement ses étendards. Cette fatale échauffourée nous coûta dix tribuns, et des soldats en grand nombre. Les Allemands, enflés de leur succès, se montrèrent plus entreprenants. Chaque jour, profitant de la brume du matin, ils venaient, l’épée au poing, jusque sous nos retranchements, hurler les menaces les plus furibondes. Une sortie tentée par les scutaires, dut s’arrêter devant les masses de cavalerie que lui opposèrent les barbares. Les nôtres tinrent ferme toutefois, et, à grands cris, invitaient tout lé camp à seconder leur coup de main. Mais on était découragé par l’échec éprouvé la veille, et Arbétion voyait peu de sûreté à engager le reste de son monde. Tout à coup trois tribuns, d’un mouvement spontané, vont se joindre aux braves qui étaient dehors. C’étaient Arinthée, remplissant les fonctions de directeur de l’armature ; Seniauchus, commandant de la cavalerie des gardes, et Bappo, chef des vétérans, suivi du corps que l’empereur lui avait confié. Le danger de leurs camarades enflamme cette poignée de braves, comme si c’eût été leur propre danger ; ils se roidissent contre une force supérieure avec l’énergie de nos ancêtres ; et les voilà qui fondent sur l’ennemi avec l’impétuosité d’un torrent. Chez eux point d’ordre de bataille ; ils se battent en partisans, et forcent enfin les barbares à la fuite la plus honteuse. Ceux-ci n’observent plus de rangs, et se dérobent avec tant de hâte qu’ils oublient de se couvrir en fuyant, et livrent leurs corps désarmés aux coups de nos lances et de nos épées. Plusieurs furent tués avec leurs chevaux, et tenaient encore à terre au dos de leurs montures. Alors ceux des nôtres que l’hésitation avait retenus au camp, revenus enfin de leurs craintes, se répandent à leur tour au dehors, et se précipitent sur les masses confuses des barbares. Tout ce qui ne put échapper par la fuite fut écrasé ; on marchait sur les cadavres, on se baignait dans le sang. Cette boucherie ayant mis fin à la campagne, l’empereur revint en triomphe passer l’hiver à Milan.

(An 355 ap. J. C.)

V. Du sein des malheurs de l’État on vit bientôt surgir une tourmente non moins fatale, et qui, cette fois, menaçait de tout engloutir dans un commun désastre, si la fortune, souveraine arbitre de toutes choses, n’eût elle-même étouffé le mal dans son germe. Depuis longtemps l’incurie du gouvernement laissait la Gaule ouverte aux incursions des barbares, et leur route était toujours marquée par le pillage, la dévastation et l’incendie. Un ordre de l’empereur envoya dans ce pays Silvain, maître de l’infanterie, que l’on jugeait capable de remédier au mal. Arbétion, qui souffrait impatiemment la présence d’un mérite supérieur au sien, avait contribué de tout son pouvoir à l’éloigner par cette mission périlleuse.

Un certain Dynamius, attaché à la direction des équipages de l’empereur, sollicita de Silvain quelques lettres de recommandation, dont il pût se prévaloir près des amis du général en qualité d’intime. Une fois en possession de ces lettres, que ce dernier, dans sa simple droiture, ne crut pouvoir lui refuser, le perfide les tint en réserve, dans