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Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/55

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Antipolis[1] et les Stœchades[2]. Puisque l’enchaînement de mon sujet m’oblige à parler de ces contrées, taire un fleuve aussi renommé que le Rhône serait une impardonnable omission.

Le Rhône, au sortir des Alpes Poenines, précipite impétueusement vers les basses terres une masse d’eau considérable, et, vierge encore de tout tribut, roule déjà dans son lit à pleins bords. Il se jette ensuite dans un lac appelé Léman, qu’il traverse sans se mêler à ses ondes, et sillonnant à la sommité cette masse comparativement inerte ; s’y fraye de vive force un passage. De là, sans avoir rien perdu de ses eaux, il passe entre la Savoie et le pays des Séquanais, poursuit son cours, laissant à sa droite la Viennoise, à sa gauche la Lyonnaise, et forme brusquement le coude après s’être associé l’Arar, originaire de la première Germanie, qu’on appelle dans ce pays la Saône, et qui perd son nom dans cette rencontre. C’est ici que commence la Gaule, et les distances se mesurent, à partir de ce point, non plus par milles, mais par lieues. Grossi de cet affluent, le Rhône peut alors recevoir les plus gros navires, ceux même qui ne naviguent ordinairement qu’à voiles. Arrivé enfin au terme marqué à sa course par la nature, il verse son onde écumante dans la mer des Gaules par une vaste embouchure, près de ce qu’on nomme les Échelles[3], à dix-huit milles d’Arles environ. Mais c’est assez de détails géographiques ; parlons de la conformation physique et du caractère des habitants.

XII. Les Gaulois sont en général de haute taille ; ils ont le teint blanc, la chevelure blonde, le regard farouche et effroyable. Leur humeur est querelleuse et arrogante à l’excès. Le premier venu d’entre eux, dans une rixe, va tenir tète à plusieurs étrangers à la fois, sans autre auxiliaire que sa femme, champion bien autrement redoutable encore. Il faut voir ces viragos, les veines du col gonflées par la rage, balancer leurs robustes bras d’une blancheur de neige, et lancer, des pieds et des poings, des coups qui semblent partir de la détente d’une catapulte. Calmes ou courroucés, les Gaulois ont presque toujours dans la voix des tons menaçants et terribles. Ils sont universellement propres et soigneux de leur personne. On ne voit qui que ce soit, homme ou femme, en ce pays, en Aquitaine surtout, porter des vêtements sales et déchirés ; rencontre si commune partout ailleurs.

Le Gaulois est soldat à tout âge. Jeunes, vieux courent au combat de même ardeur ; et il n’est rien que ne puissent braver ces corps endurcis par un climat rigoureux et par un constant exercice. L’habitude locale en Italie de s’amputer le pouce pour échapper au service militaire, et l’épithète de murcus (poltron) qui en dérive, sont choses inconnues chez eux. Ils aiment le vin de passion, et fabriquent pour y suppléer diverses boissons fermentées. L’ivresse, cette frénésie volontaire, comme l’a définie Platon, y est l’état habituel de bon nombre d’individus de la basse classe, qui ne font qu’errer çà et là dans un abrutissement complet ; ce qui justifie le mot de Cicéron dans son plaidoyer pour Fonteius : « Les Gaulois vont mettre de l’eau dans leur vin. Autant vaudrait, selon eux, y mettre du poison.

La partie de cette région qui avoisine l’Italie

  1. Antibes.
  2. Iles d’Hyères.
  3. Les Gras, en dialecte provençal.