Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/65

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garde de sa propre vie, il dépêcha en toute hâte des cavaliers à Ursule, avec l’ordre formel à ce dernier de revenir aussitôt. On lui conseillait de n’en rien faire. Mais lui, sans se laisser intimider, va droit à la cour, et là devant le conseil expose avec calme et présence d’esprit les faits tels qu’ils s’étaient passés. Son attitude intrépide imposa silence aux flatteurs, et le tira, ainsi que son collègue, du plus grand des dangers.

Il se passa vers la même époque, en Aquitaine, une scène qui eut du retentissement ailleurs. Un fureteur d’accusations assistait à un dîner servi avec la profusion et la recherche qu’on y apporte d’ordinaire en ce pays. Cet homme avise deux couvertures de lits de table que les domestiques avaient disposées avec assez d’adresse pour que les larges bandes de pourpre dont chacune était bordée parussent se confondre en une seule. La nappe était formée de pièces d’étoffe semblables. Il en prend une de chaque main, et les ajuste de façon à figurer le devant d’une chlamyde impériale. Ce fut assez pour faire intenter au maître du logis un procès criminel, où s’engloutit son riche patrimoine. Un autre exemple de cette fureur d’interprétation fut donné par un agent du fisc en Espagne. Il se trouvait aussi invité d’un festin ; et lorsqu’à la chute du jour les gens de service poussèrent l’exclamation d’usage : Triomphons ! en apportant les lumières, cet homme s’empara de ce mot, qui est de cérémonial, pour lui donner une signification criminelle ; et il s’ensuivit la ruine d’une illustre maison.

Le mal se propageait de plus en plus par l’excessive pusillanimité du prince, qui voyait partout des attentats contre sa personne. On peut le comparer à ce Denys, tyran de Sicile, qui, tourmenté des mêmes frayeurs, voulut que ses propres filles apprissent à manier le rasoir, afin de n’avoir plus à se confier pour ce service à des mains étrangères ; et qui fit entourer la petite maison où il passait la nuit d’un large fossé sur lequel était jeté un pont composé de pièces de rapport, dont chaque soir il enlevait les ais et les chevilles, pour le remonter au lever du soleil. Les courtisans de Constance travaillaient à qui mieux mieux à alimenter ce foyer de malheur public, dans la vue de s’approprier les dépouilles des condamnés, et pour avoir l’occasion de s’agrandir aux dépens d’un voisin. Il est trop certain que Constantin le premier donna l’éveil à l’avidité de son entourage ; mais on peut dire que Constance gorgea le sien de la substance des provinces. Sous son règne une soif ardente de s’enrichir, au mépris de toute justice et de toute honnêteté, s’empara des principaux personnages de tous les ordres. De ce nombre sont Rufin, préfet du prétoire, dans la magistrature civile ; Arbétion, général de la cavalerie ; Eusèbe, grand chambellan, … questeur, parmi les militaires ; et, parmi les fonctionnaires municipaux, les Anicius, famille où une sorte d’émulation de rapacité se transmet avec le sang, et qu’une progression continue de richesse a toujours été impuissante à assouvir.

IX. Cependant les Perses continuaient à remuer en Orient, mais sans faire des courses au loin comme précédemment, et bornant leurs entreprises à enlever quelques prisonniers ou quelques troupeaux. Ces déprédations réussissaient quelquefois par surprise ; parfois aussi, nous trouvant en force, l’ennemi voyait sa proie lui échapper. Souvent son espoir de butin était frustré par la précaution qu’on avait prise de ne rien laisser