Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/66

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

sous sa main. J’ai déjà parlé de Musonien, préfet du prétoire, comme d’un esprit distingué avec un caractère vénal, et que la perspective du gain écartait facilement du devoir. Musonien entretenait chez les Perses de subtils émissaires, et par eux cherchait à pénétrer les intentions de l’ennemi. Il s’entendait aussi, dans ce dessein, avec Cassien, duc de Mésopotamie, vieux soldat éprouvé par les fatigues et les hasards de plus d’une campagne. Sapor, d’après les rapports uniformes de leurs agents, se trouvait alors occupé sur l’autre frontière de ses États, contenant avec peine, et non sans de grandes pertes, les belliqueuses nations qu’il avait en tête. Quand ils eurent certitude sur ce point, ils ouvrirent secrètement des communications, par l’entremise de soldats obscurs, avec Tamsapor, qui commandait les forces des Perses de notre côté, et l’engagèrent à donner à son maître, dans ses lettres, le conseil de traiter de la paix, à la première occasion, avec l’empereur romain. C’était assurer à la fois ses flancs et ses derrières, et il se trouverait libre de reporter avec sécurité toutes ses forces sur le point où les hostilités étaient le plus vives. Tamsapor s’empressa d’accepter de telles ouvertures, et il écrivit à Sapor que Constance, ayant ailleurs sur les bras une guerre des plus acharnées, lui demandait avec instance la paix. Mais un temps assez long s’écoula avant que sa lettre n’arrivàt au roi son maître, qui avait pris ses quartiers d’hiver dans le pays des Chioniles et des Eusènes.

X. Durant ces transactions diverses de la politique en Orient et dans les Gaules, Constance, comme s’il eût fermé le temple de Janus, et abattu sous ses coups tous les ennemis de l’empire, conçut tout à coup le désir de visiter Rome, et d’y triompher à l’occasion de cette victoire sur Magnence, achetée au prix de l’affaiblissement de la patrie et de l’effusion du sang romain. Ce n’est pas qu’il eût jamais en personne, ou par la valeur de ses généraux, vaincu complètement une seule des nations qui lui avaient fait la guerre, ou ajouté à l’empire la moindre conquête ; ni qu’on l’eût jamais vu le premier, ou parmi les premiers, aux moments de péril. Il cédait seulement à la fantaisie d’étaler, dans une pompe inusitée, l’or de ses étendards et l’appareil frappant de ses milices d’élite aux yeux déshabitués de ce peuple ; qui n’espérait ni ne désirait revoir de pareils spectacles. Il ignorait peut-être que les princes d’autrefois s’étaient contentés en temps de paix d’un cortège de licteurs ; mais qu’en temps de guerre, et dans telle circonstance où il fallait payer de sa personne, l’un avait bravé, sur une frêle barque de pécheurs, toute la furie des vents déchaînés ; un autre avait, à l’exemple de Décius, fait un noble sacrifice de sa vie ; qu’un troisième n’avait pas craint d’aller lui-même, suivi seulement de quelques soldats, explorer un camp ennemi ; et qu’il n’en est pas un, en un mot, qui, par quelque effort digne de remarque, n’ait recommandé son nom au souvenir de la postérité.

Je passe sous silence l’énorme prodigalité des préparatifs. Ce fut donc sous la seconde préfecture d’Orfite que Constance, dans toute la vanité de sa gloire, traversa Ocricule[1] avec un cortège formidable, composé comme une armée ; objet de stupeur pour tous ceux qui le virent, et dont nul ne pouvait détacher les yeux. Quand il approcha de la ville, le sénat vint lui rendre ses devoirs. Promenant un œil de satisfaction sur ces vénérables rejetons de l’antique souche patri-

  1. Ocricoli.