Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/78

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Rhin, et enfermés comme par un mur de cadavres entassés, ne voient plus de salut pour eux que dans le fleuve. Pressés par nos soldats, que leur pesante armure ne saurait retarder dans leur poursuite, quelques-uns se précipitèrent dans les flots, comptant sur leur habileté à nager pour sauver leurs jours. César, qui vit aussitôt le danger de trop d’entraînement pour les nôtres, défendit à haute voix, et fit proclamer par les chefs et les tribuns, la défense à tout soldat de s’engager, en suivant de trop près l’ennemi, dans les eaux tourbillonnantes. On se contenta donc de border la rive, et de faire pleuvoir sur l’ennemi une foule de traits de toute espèce. La plupart de ceux que la fuite dérobait à nos coups trouvaient, s’abîmant de leur propre poids, le trépas au fond du fleuve. Alors la scène présenta sans danger un intérêt dramatique. Ici le nageur se débat contre l’étreinte désespérée de celui qui ne sait pas nager, et le laisse flotter comme un tronc, s’il parvient à s’en défaire. Là, saisis par les tourbillons, les plus habiles roulent sur eux-mêmes, et sont engloutis. Quelques-uns, portés par leurs boucliers, sans cesse déviant pour éviter le choc des vagues, parviennent, après mille hasards, à toucher enfin l’autre bord. Le fleuve, rougi des flots du sang barbare, s’étonne de la crue soudaine de ses eaux.

Au milieu du désastre ; le roi Chnodomaire, qui avait su échapper, en se glissant entre des monceaux de cadavres, s’efforçait de regagner au plus vite le campement qu’il occupait avant sa jonction à peu de distance de deux forts romains. Il avait fait réunir de longue main, et en cas d’échec, des embarcations dont il songeait en ce moment à se servir pour chercher quelque retraite obscure, et y attendre un changement de la fortune. Comme il ne pouvait y arriver qu’en passant le Rhin, il revint sur ses pas, ayant la précaution de se couvrir la figure. Il approchait de la rive du fleuve, lorsqu’en tournant une espèce de marécage qui se trouvait sur son chemin avant d’arriver au point d’embarquement, son cheval s’abattit dans un terrain fangeux, et le renversa sous lui. Malgré sa corpulence il parvint à se dégager, et à gagner une colline boisée qui n’était pas loin de là. Mais il fut reconnu ; l’éclat même de son ancienne grandeur l’avait trahi. Aussitôt une cohorte commandée par un tribun enveloppa de tous côtés la colline, sans chercher à pénétrer dans le fourré, dans la crainte de rencontrer quelque embuscade. Chnodomaire alors se vit perdu, et se décida à se rendre. Il était seul dans le bois ; mais deux cents hommes qui formaient sa suite et trois de ses plus intimes amis vinrent d’eux-mêmes se livrer, regardant comme un crime de survivre à leur roi, et de ne pas donner, s’il le fallait, leur vie pour sauver la sienne. Les barbares, insolents dans le succès, sont d’ordinaire sans dignité dans le malheur. Chnodomaire, la pâleur au front, montra, tandis qu’on l’entraînait, la contenance dégradée d’un esclave : la conscience du mal qu’il avait fait enchaînait sa langue. Combien différent, alors du féroce dévastateur que le deuil et la terreur annonçaient naguère, et qui, foulant aux pieds la Gaule en cendres, menaçait de ne pas borner là ses ravages !

La bataille ainsi terminée par l’assistance du ciel, vers la chute du jour le clairon rappela