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Page:Marchand - Nos travers, 1901.djvu/10

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qui peut advenir de leurs filles sur les grandes routes. J’en connais beaucoup d’attachées aux anciens préjugés qui, en attendant cette merveilleuse longue-vue, ne se résigneront pas à l’empire du sport révolutionnaire.

L’une de ces intransigeantes le jugeait l’autre jour d’un mot cruel en parlant des habitudes d’une voisine : — « Ça sort à des heures impossibles, ça rentre on ne sait quand, ça va, on ne sait ou… des mœurs déplorables, des mœurs de bicyclistes quoi ! »

Ce que je crains moi, c’est que le règne de la pédale et du guidon ne nous fasse une génération de filles athlètes en bottes carrées, en jupon court et aux mains déformées.

Que deviendront les arts gracieux entre ces mains alourdies ? Que deviendront le piano, le pinceau et l’aiguille ! Que fera-t-on des livres et qu’adviendra-t-il de la science déjà si délaissée, si ignorée de la conversation !

Pauvre « conversation », toi à qui on dédia des livres au plus beau temps du règne de l’esprit ; toi qui fus le charme et l’ami de la beauté ; prestige et talisman, à quel degré d’oubli n’es-tu pas tombée !

Et quel pire sort t’attend encore, avec le démembrement des familles dont le culte du sport nous menace ! Te restera-t-il quelques partisans ? Subsistera-t-il quelques maisons où les amateurs du beau langage, les délicats de l’esprit te retrouveront honorée. Oui, sans doute et ces familles au sein desquelles l’art de la causerie intelligente aura été cultivé seront des oasis, derniers refuges des gens qui pensent au milieu du mécanisme universel.


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