Page:Marchand - Nos travers, 1901.djvu/13

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

quels, si elle se donnait une mission qui rendit à son intelligence un peu d’activité, la frivolité n’imprimerait pas à sa personne comme à son esprit un cachet de banalité.

Dans d’autres pays les femmes ont au moins, un prétexte pour mener une vie futile. Tant d’objets intéressants, un si grand nombre d’occasions sollicitent leur curiosité et les entraînent dans des habitudes de joyeuse dissipation.

Mais en ce coin de terre, étranger aux brillantes séductions des grandes villes et où les distractions sont rares, la frivolité n’est qu’un violent effort pour s’étourdir, un petit tourbillon factice qui dissimule mal le profond ennui, le vide d’une existence inutile.

Le Canada est peut-être un des rares pays où les femmes d’une certaine classe soient si absolument inactives et adoptent volontairement un mode d’existence si complètement nul.

Au sortir du couvent elles commencent à traîner leurs journées paresseuses et à s’évertuer à tuer le temps ; elles vont ainsi s’ennuyant de plus en plus et attrapant, dans la tristesse de cette végétation, une sorte de jaunisse morale, un pessimisme qui les fait se trouver à charge à elles-mêmes.

Or, qu’arrive-t-il ? C’est que leur conversation se ressent de la stérilité de leur esprit.

Dans combien de salons « cause-t-on » aujourd’hui ? Je dis « causer » et non pas papoter, potiner ou, pis encore, user de ces propos équivoques — grossiers substituts de l’esprit qu’on n’a pas — pour susciter le rire et la gaieté.

Toutes les soirées mondaines — à peu d’exceptions près — se ressemblent d’une façon désolante. On n’en comble le vide moral qu’avec du bruit, du mouvement, de la danse, du piano, les cartes.

Et s’il vient un moment vous vous lassez du bruit et du mouvement, que reste-t-il à ces réunions sociales ?