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Page:Marchand - Nos travers, 1901.djvu/19

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Sait-on bien ce que c’est que réfléchir ?

Ce n’est pas s’arrêter à une sensation comme celle causée par une contrariété, ou même à une idée présentée par l’imagination, comme le plan d’un chapeau nouveau. Si quelqu’un vous a offensée ou froissée et que tout en travaillant vous restiez pendant des heures sous l’impression d’une sorte de colère, laissant ballotter votre esprit par d’obscurs mouvements de rancune, de vagues instincts de vengeance, ce n’est pas penser, cela. Si encore vous vous immobilisez dans une idée fixe, dans la contemplation intérieure d’un objet imaginaire, ce n’est pas davantage penser : c’est ruminer.

La réflexion est une opération plus compliquée. La raison et la conscience y concourent. Il en découle une morale, une règle pour nos actions et notre manière de vivre. Vous reconnaîtrez une personne qui réfléchit en celle qui élève ses enfants d’après certains principes fixes, ou en toute autre qui — dans quelque condition qu’elle soit — n’agit que par des motifs raisonnés. Celle-là a un but dans la vie, elle sait ce qu’elle veut et où elle va.

Les autres ne font que subir l’existence, plus ou moins courageusement, selon leur tempérament ; elles se lèvent pour commencer la corvée quotidienne, sans résumer le travail du jour dans un acte de la volonté, mais résignée à accomplir machinalement une certaine somme de besogne matérielle. Leur prière du matin n’est pas une véritable élévation de l’âme vers Dieu ; ce n’est pas une bonne résolution accompagnée d’une demande de secours, mais une posture du corps et un mouvement des lèvres ; fait insignifiant, sans nul rapport avec ceux qui vont suivre.

De ces deux catégories d’individus, on n’hésitera pas à préférer la première. Notre modèle sera la créature usant du flambeau que la Providence lui a donné pour éclairer sa route, plutôt que celle qui néglige d’allumer