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NOS TRAVERS

des infirmes, cloués sur un fauteuil sans l’option de plaisirs plus raisonnables.

Nos gazettes cependant atteignent une circulation considérable. Ceux-là sont rares qui se refusent la satisfaction de se renseigner pleinement : sur le dernier scandale, les « naissances, » « mariages » et « décès, » une réception en haut lieu, la cote de la bourse. La curiosité publique parcourt avidement aussi le compte-rendu d’un événement artistique… afin d’y voir les noms des assistants. Tout cela ne dénote pas un goût très éclairé pour les choses de l’esprit.

Qui donc a dit que le journalisme était un terrible pouvoir ? Qui compara sa plume à un outil dangereux, à un levier puissant, à une arme révolutionnaire ?

Ces dénominations — justes pour d’autres pays — feraient sourire nos rédacteurs salariés.

Je me figure l’un d’eux regardant sa plume sous ce nouveau jour, et s’écriant : —

« — Cela une arme formidable ! Cela une reine dans le domaine de la pensée ! Mais elle ne m’appartient même pas. Sa liberté est limitée à la sphère des intérêts de mon patron. »

Et il pourrait se dire encore à lui-même : —

— « Moi un dictateur ! moi un arbitre dans les conflits moraux et politiques de mes concitoyens. Moi un penseur indépendant dont l’intelligence lumineuse projette ses rayons dans un vaste circuit et produit une moisson d’effets heureux ! Non. Un scribe, un employé supérieur avec des facultés spéciales, travaillant sous un maître et obéissant à la consigne ; la roue secondaire d’une entreprise industrielle, voilà ce que je suis !

Vous ne trouverez parmi les journalistes nul philosophe orgueilleux, nul auteur infatué de son pouvoir. Tous ils savent que sur notre sol pratique les céréales et les légumes sont les choses qu’on doit exclusivement cultiver. La violette, l’églantine odorantes, le timide coquelicot, et tous les humbles poètes qui osent mon-