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Page:Marchand - Nos travers, 1901.djvu/30

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LA PIPE

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Ça n’a pas l’air de grand’chose comme cela sur le papier, mais c’est tout un monde de calamités que la pipe. Elle a son complice qui est le journal.

Dans quelques ménages à la vérité ce dernier est un fléau.

Au bout d’une heure de tête-à-tête conjugal dont le silence n’est troublé que par le bruissement sec des grands feuillets qu’on déploie et celui plus doux des longs soupirs d’une ostensible résignation, une voix plaintive s’élèvera :

— Tu es amusant, toi !… c’est bien la peine d’avoir tant d’impatience de vous voir rentrer, de consulter vingt fois la pendule… (nouveau soupir).

Le mari absorbé, embourbé, enfoncé dans la colonne des dépêches télégraphiques, sent vaguement qu’on frappe à la porte de son cœur. Son esprit, hypnotisé par les caractères d’imprimerie, s’agite, fait de pénibles efforts pour s’arracher à leur attraction et aller voir ce qu’on lui veut. Il ne réussit qu’à demi à se reprendre pour répondre d’une voix distraite et lente, une voix de somnambule : — Oui, ma mignonne… je… (inspectant sommairement les colonnes du haut en bas) je ne fais que parcourir… Il retombe, magnétisé par les fastidieux détails d’une enquête judiciaire.

Un formidable soupir fait la réplique à cette divagation, et, après un assez long silence, sur un ton dolent :

— Si au moins tu me lisais les nouvelles !

— Hein ?… fait l’halluciné, un “hein ! " qui vient de l’autre monde, suivi d’une interminable pause, puis