Page:Marchand - Nos travers, 1901.djvu/37

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voient pas souvent, se disent entre eux : Ce pauvre Un tel, comme il est bête !

Il rentre chez lui avec un mal de tête enragé, répond avec aigreur à sa femme qui lui représente que tout est refroidi. À table il mange à peine, houspille les enfants, se lève avant le dessert disant que la tête lui ouvre et va se jeter tout habillé sur quelque divan pour y finir sa journée.

Voilà l’œuvre du trouble-fête.

Dans une noce, le brouillon qu’il est, ira son chemin, échauffant toutes les têtes… masculines, mettant dans la sentimentale et poétique gaieté sa note bête, changeant en bacchanale le paisible festin, abrutissant les convives, jusqu’au marié quelquefois qui ajoute aux émotions naturelles de sa jeune femme, l’horreur de se voir emporter pour le redoutable voyage de l’inconnu par une espèce de brute inconsciente.

Ce mauvais génie intervient dans les joyeuses réunions mondaines ou de famille pour tout gâter et renvoyer chez elle, avec un maniaque dont la vue fait mal, une épouse humiliée.

Ces accidents dont on plaisante entre hommes et qu’en rapportant à un camarade on appelle une « bonne histoire », sont trop souvent des catastrophes intimes.

Ce n’est pas parce qu’un individu est d’une irréprochable sobriété que sa compagne trouvera d’une gaieté folle de l’avoir vu une fois, en état d’ébriété. Au contraire, manquant d’accoutumance et de la philosophie que possèdent d’ordinaire les malheureuses dont le sort est lié à un ivrogne, elle aura plus de peine à oublier. Et le spectre hideux qui aura tout à coup surgi dans la quiétude de sa vie d’épouse, la hantera toujours, laissera en elle un souvenir mélancolique, un scepticisme cruel et comme un deuil incurable de sa belle confiance envolée.

Que penser des gens qui, paraît-il, trouvent absolument désopilant de conspirer pour enivrer malgré lui