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Page:Marchand - Nos travers, 1901.djvu/4

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Vous autres, vous avez supprimé la cuirasse et quand vous êtes sots, vous l’êtes simplement et sans détours.

De même, quand vous valez quelque chose, il y a dans votre attitude un air conscient et satisfait de votre mérite, que vous avouez du reste sans vanité avec une candeur très originale.

Cette rondeur et cette bonhomie à la « Yankee » n’est pas votre plus grand tort à mes yeux.

Un de mes confrères, en grognerie, avec lequel j’épanche parfois mes regrets des chères coutumes envolées, me disait un jour :

— Nous sommes dans le siècle de l’ « À quoi bon ! »

J’ai vu de petites gens, longs comme mon pouce sourire d’incrédulité à travers les larmes de leur colère enfantine, à l’évocation de Croquemitaine !

Songez donc, nier Croquemitaine !… À cet âge ! Croquemitaine auquel nos pères ont cru, qui a été la terreur de notre enfance ! Croquemitaine que les poètes ont immortalisé !…

Passe encore pour abolir les rois, mais abattre Croquemitaine !… Là, j’ai jugé de la mesure de votre cynisme.

Vous avez une expérience intuitive qui vous inspire une lassitude précoce des accessoires de la vie, de tout ce qui n’est pas la vie elle-même.

« Vous êtes nés usés dans un siècle trop vieux
aurait dit un poète.

À l’âge où, de mon temps, les jeunes filles s’habillaient de blanc et se coiffaient de fleurs avec une fine et naïve coquetterie, à l’âge où elles allaient errer mystérieusement sous quelque poétique bosquet, on les voit aujourd’hui vêtues comme des impératrices, ayant du métal jusque dans leur chevelure systématiquement disposée, s’asseoir auprès d’une « five o’clock tea table », et ne parler qu’avec une expression languissante, légèrement sarcastique où se lit, clairement, l’ « À quoi bon » de mon vieil ami.