Page:Marchand - Nos travers, 1901.djvu/53

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
57
LA MODE

Et l’imitant toujours, ils iraient peut-être jusqu’à mouler en des vers impeccables quelque recette de coldcream ou de lotion pour le teint.

Un autre poëte qui, lui, a toujours fort maltraité la femme, Théophile Gauthier a pourtant prétendu que celle-ci n’a que le sentiment de la mode et non celui de la Beauté.

N’en déplaise au paradoxal écrivain, ces deux choses ne sont pas contradictoires. Il y a bien entre elles cette différence que le Beau est immuable et que la mode n’est rien moins que cela. Et pourtant, il faut être un peu artiste pour posséder cette initiation naturelle, ce sentiment intime de la mode qui elle-même est une variante au thème de l’éternel Beau, une adaptation populaire et comme une sorte d’opportunisme appliqué à l’esthétique. Pour l’une comme pour l’autre, le goût est l’arbitre indispensable.

L’on n’est donc pas si éloigné d’être capable, quand on a l’intuition de l’élégance et certaine aptitude à saisir l’esprit de la Mode, de sentir la véritable beauté.

À la considérer à un point de vue optimiste, la Mode est une excellente chose, un raffinement extérieur qui suppose chez ses fidèles des dispositions artistiques, une tendance à la perfection.

Elle a sa portée psychologique puisqu’elle trahit chez l’individu — par la manière que chacun a de se l’assimiler — les traits du caractère.

On ne peut enfin nier son importance historique, car elle fut toujours tellement liée aux mœurs que l’on ne connaît pas bien un peuple ou un personnage si l’on n’est initié au détail de ses habitudes, à la connaissance de ses goûts intimes que régit la Mode.

Après cela, que l’on décrie la toute-puissante Altesse si l’on veut, mais qu’on ne la traite pas en quantité négligeable. Son rôle dans la société est prépondérant ; que ses contempteurs ne l’oublient pas.