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UN USAGE INOPPORTUN

lettres d’une femme pourra conserver à son égard de l’estime, mais il ne la respectera jamais autant qu’avant le déluge des épanchements. Le seul ton de ses paroles quand il lui parle suffit à le prouver aux indifférents. Dans ces cas où la familiarité n’engendre pas le mépris, l’amitié prend le caractère de la camaraderie d’homme à homme ; or, il n’est pas contestable qu’on manque à une femme en la traitant comme un homme.

J’excepte à peine de cette loi les fiancés, mieux garantis que les autres naturellement contre la satiété et le désenchantement. Chez ceux-là même, les assurances passionnées, les déclarations brillantes, intempérées que certaines jeunes filles se croient permises à la veille du mariage, minent sourdement et pour toujours ce respect exalté qui est le plus délicat hommage de l’amour qu’on leur porte et ce qu’il a de meilleur.

Ces exubérantes ne comprennent donc pas qu’elles ne gagnent rien à vider leur cœur jusqu’à le retourner et à en secouer les moindres miettes sur l’Idole.

Quelles ressources leur reste-t-il quand elles ont une fois renversé la coupe des virginales tendresses ? Ne vaut-il pas mieux les mesurer goutte par goutte à la ferveur d’un communiant jamais lassé ?

Une jeune fille se vantait d’avoir correspondu pendant un an avec son fiancé sans avoir jamais écrit le mot aimer, l’infinitif divin.

— Oh ! la vérité y était toute entière pourtant, disait-elle, mais il fallait la trouver entre les lignes ou la reconnaître sous le travestissement de cette figure de rhétorique qui s’appelle « litote. »

Je parie que ces exquises trouvailles faites sous la tendresse pudique des phrases ravissaient le destinataire autrement que ne l’aurait fait la vérité toute crue.

Si les jeunes filles qui n’éprouvent aucune répugnance à prodiguer leur écriture assistaient une fois à l’in-