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NOS TRAVERS

ventaire que les garçons font de temps à autre des papiers de leurs poches, elles auraient la sensation de l’incongruité de leur complaisance.

En voyant exhumer de ce magasin de variétés, — avec des parcelles de tabac dont le brutal arôme a tué son délicat parfum — souillé et méconnaissable, le billet, où s’étale la gracieuse cursive, leur délicatesse serait froissée ; et la pudeur naturelle de leur âme ressentirait comme une injure la flétrissure de cette page sortie si blanche de leurs mains.

Les hommes ne sont pas tous assez discrets pour dérober à la curiosité de leurs amis de pareilles marques de confiance. Et pourquoi, mesdemoiselles, dites-le moi, se montreraient-ils plus soucieux de votre dignité que vous ne l’êtes vous-mêmes ? En général ils ne se font point faute de se les exhiber réciproquement, non sans un certain orgueil, et c’est là un indice du prix qu’ils attachent encore aux privilèges de votre trop grande condescendance. La chose se passera peut-être comme ceci :

Dans une réunion de célibataires, jeunes ou vieux, tenant leurs séances dans une garçonnière quelconque, l’un des fumeurs usera d’un habile stratagème pour se vanter sans en avoir l’air. Faisant mine de pêcher avec difficulté une allumette au fond de son gousset, il le débarrasse machinalement des papiers qu’il contient ; ses regards tombant aussi machinalement sur le premier, il dit avec nonchalance, comme un homme habitué à tout :

— Tiens, la lettre de la petite Chose.

— Ah ! toi aussi ? fait un second piqué au jeu et soulevant le pan de son habit pour aller chercher dans l’arrière-fond d’une poche profonde un document identique.

Alors, selon que la petite Chose a plus ou moins de connaissances dans ce cercle de mondains, il circulera de mains en mains un certain nombre de petits feuil-