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LES MALHEUREUSES

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Quelle déplorable éducation est celle qui émousse chez quelques-unes la fierté — je dirais royale — qui fait à la femme sa force et sa supériorité ? On en voit en effet abdiquer d’elles-mêmes le sceptre que la civilisation leur met dans la main et renoncer à l’orgueil légitime qui leur permet d’attendre les hommages.

Mais d’abord la jeune fille, avant d’entrer dans le monde, doit s’être prémunie d’une forte dose de philosophie, ce nom profane de la résignation chrétienne ; autrement, ce sera une recrue de plus dont se grossira le bataillon des « malheureuses ».

La femme dans notre monde policé est condamnée à une passivité humiliante et barbare. Son esclavage est tel qu’il n’est pas une fête d’où la plus belle et la plus adulée ne sorte avec de l’amertume plein l’âme.

Forcée, quels que soient ses moyens ou ses goûts, de se parer avec recherche, elle y est comme en exhibition devant ces messieurs. Maintenant, de choisir au gré de ses préférences et de ses sympathies ceux avec lesquels elle désirerait causer ou danser ; de se soustraire à la compagnie de certain importun, celles qui le tentent sont taxées d’inconvenance. L’audacieuse qui refuserait à un fâcheux l’« honneur » de s’inscrire sur son carnet serait immédiatement mise au ban de l’opinion masculine.

Dans un bal on ne sait donc lesquelles il faut plaindre davantage, de celles qui ont la honte d’être délaissées par des freluquets qu’elles dédaignent, ou de celles