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Page:Marchand - Nos travers, 1901.djvu/71

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don, la pose d’un deuil dramatique, ont gâté leur avenir, effarouchée la félicité par l’enseigne du désespoir arboré sur leur personne.

Pour un homme une peine de cœur est une auréole et un excellent certificat. Chez nous, je le répète, elle est un objet de risée, une faiblesse qu’à tout prix il faut déguiser sous une contenance naturelle et même joyeuse. Notre conduite doit avoir pour règle l’inflexible axiome « Noblesse oblige ». Et plus on est humble, déshéritée de la nature ou de la fortune, plus on doit viser à cette hauteur de l’âme qui ne se laisse pas abattre par le dédain d’un homme, car alors l’indépendance est notre seul avantage et notre réputation le seul bien dont on dispose.

La vraie jeune fille est une créature si pure, tellement au-dessus de ceux — hommes jeunes ou mûrs — qui ont l’avantage de l’approcher, que je la voudrais plus consciente de sa valeur, plus pénétrée de sa supériorité et autrement jalouse des égards qui lui sont dûs.

Chez les plus désespérées, dans l’éclat qu’elles donnent à leurs « chagrins d’amour, » il a le vestige d’une espérance et l’insistance d’une supplication. Est-il concevable que leur jugement n’avertisse pas ces éplorées qu’une marchandise dont on fait bon marché ne peut que perdre de sa valeur.

Si les malheureuses se contentaient de se nourrir de leur égoïste douleur ; mais hélas, elles ont leurs victimes. Ce sont d’abord leur famille, un bon père, une mère idolâtre, réduits au désespoir par le spectacle d’une peine devant laquelle ils se sentent impuissants. Ces vrais affligés, dont le malheur n’a pas, comme celui de leur enfant, une certaine compensation trouvée dans le charme des souvenirs et des dangereuses rêveries, ces pauvres parents ont l’âme meurtrie en lui entendant répéter sans cesse qu’elle va mourir.

Il y a aussi les confidents. Ceux-là sont les martyrs